
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Woman Hating - De la misogynie
Andrea Dworkin
Editions des Femmes Antoinette Fouque
23 mars 2023
256 pages traduite par Camille Chaplain et Harmony Devillard, avec le concours du CNL, Centre National du Livre
Essai
Chronique
2 avril 2023

« Après Woman Hating, on ne lit plus jamais un conte de fées de la même façon. »
Ellen Frankfort, essayiste féministe
Cela fait déjà plusieurs années que les Éditions des Femmes Antoinette Fouque me font l'honneur de solliciter mon avis sur leurs ouvrages. Rarement, je n'ai pu écrire une chronique sur l'un de leurs titres. À la fin de ma lecture houleuse de Woman Hating, je ne savais pas si je serai capable de rédiger une chronique qui ne soit ni faussement consensuelle et donc hypocrite, ni violente, tant je fus blessée par certains passages entre autres concernant l'inceste. ( Voir la réaction d'une lectrice copiée collée complétant cette première impression sidérée de ma part).
Andrea Dworkin a 28 ans à la publication de cet essai politique et sociétal. Nous sommes en 1974, "peace and love" soit disant, période de remise en question de toute la société sur des sujets cruciaux ou moins. On cherche, on expérimente, on trouve et bien souvent on se perd. Andrea est issue d'une famille aimante, elle la remercie d'ailleurs en fin d'ouvrage, elle est très jeune et fougueuse. Elle a un talent certain pour écrire et trouver des formules chocs. Elle veut révolutionner, elle veut détruire certains carcans, certains dogmes... tout en imposant ses certitudes, ses conclusions, son mode de vie... J'espère qu'en vieillissant, sa pensée a été beaucoup plus nuancée et qu'elle s'est appuyée sur une expérience réelle de la vie et non une vision issue d'une posture purement intellectuelle. Amour et Paix !
Je regrette que ce texte retransmis tel quel n'ait pas été précédé d'une introduction remettant ce brûlot dans son contexte historique. Car, oui, il est extrêmement intéressant de le découvrir comme un livre ayant jalonné le long parcours de réflexion des féministes et de tout individu convaincus que la société devait impérativement évoluer, changer. Cet essai est en quelque sorte une photographie à un instant T et certainement pas une fin en soi.
J'ai été profondément choquée, meurtrie et en colère à la lecture de certains chapitres concernant particulièrement les enfants, l'inceste. Comme je suis inquiète face à l'idée de la création d'une société androgyne... On en voit les conséquences catastrophiques sur les petits aujourd'hui même. Lire la dernière lettre envoyée au ministre de l'éducation nationale par les associations de protection de l'enfance, Les Mamans louves, notamment.
Cependant, j'ai aussi été scotchée par la pertinence de son analyse de la guerre qui fut et est menée contre les femmes depuis des millénaires. Andrea Dworkin est brillante, incontestable sur ce sujet, prenant deux exemples concrets pour illustrer son propos : les pieds bandés en Chine, pratique barbare qui perdura 1000 ans, et la chasse aux sorcières.
À nouveau, n'oubliez pas que l'autrice assène des réflexions et jugements qui étaient considérés comme vérité absolue à son époque. Par exemple : son interprétation du Moyen-Âge comme période d'obscurité et de barbarie pendant laquelle fut lancé le génocide des femmes jugées comme sorcières et bien.... non pas tout à fait ! C'est à la Renaissance étonnamment que l'Inquisition fit le plus de victimes. Les études et découvertes anthropologiques, archéologiques, historiques et scientifiques des deux côtés de l'océan ont largement fait évoluer notre vision de ce massacre infâme et du Moyen-Âge...(Je me permets de vous signaler les ouvrages actuels de Susan Smit sur ce thème, "La Sorcière de Limbricht" entre autres).
Quant à l'inceste ? Que dire. Ce n'est pas un tabou à abattre, c'est une monstruosité contre nature, une gangrène qui détruit des générations d'innocents. Les mouvements "Metoo" qui se réfèrent aux textes de Andrea Dworkin, ont été rejoints par "Balancetonporc" par exemple et tous ceux qui se battent contre la pédocriminalité dans ou hors famille. Donc, la lecture de ce livre doit s'accompagner d'une recontextualisation permanente de celui-ci dans la chronologie. Je suppose et j'espère que la réflexion de cette jeune femme a évolué avec les années, l'expérience et la confrontation à la réalité sur le terrain.
Je ne regrette pas d'avoir lu ces lignes, car elles illustrent parfaitement une époque de tâtonnements, d'erreurs mais aussi d'avancées majeures pour nous tous.
Merci à Harmony Devillard :
« Bonjour,
Pour répondre à vos interrogations et vos remarques, je me permets d'attirer votre attention sur la note de la page 211 de la même édition :
« * L’appréhension d’Andrea Dworkin de l’inceste et du tabou de l’inceste a significativement évolué depuis la publication de ce premier livre, dont elle a regretté cette dernière section provocatrice marquée par les spéculations des années 1960. Recueillir les témoignages concrets de victimes incestuées l’a plus tard amenée, préfigurant aux États-Unis le mouvement actuel #MeTooInceste, à affirmer : « L’inceste est terriblement important pour la compréhension de la condition des femmes. C’est un crime commis contre une personne, un crime dont la plupart des victimes ne se remettent jamais […], parce qu’il ne reste pas une chance au monde pour l’enfant. Tout son système de réalité, toute sa capacité à former des attachements, toute sa capacité à comprendre ce que recouvre l’estime de soi, sont détruits par une personne qu’elle aime. Les victimes d’inceste s’organisent à présent dans ce pays, et elles s’organisent de façon politique. » A. Dworkin, « Feminism: An Agenda (1983) », in "Letters from a War Zone", III « Take back the day », Lawrence Hill Books, Brooklyn, N. Y., 1993 (1989), pp. 139-140 (notre traduction, NdT). »
Bien cordialement,
Harmony Devillard »