
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Une aventure monumentale
Olivier Dutaillis
Mon Poche
4 juin 2020
464 pages
Historique
Chronique
5 juillet 2020

L'histoire ici racontée, éditée à l'origine en 2016 chez Albin Michel, a provoqué chez moi une réelle jubilation liée à la beauté de l'écriture elle-même et aux destins qui m'étaient si adroitement et passionnément narrés.
Notre guide est une chercheuse de trésor, une voleuse d'œuvres d'art, anglaise, veuve, trouvant enfin en France une liberté de mouvement et de choix qu'elle n'a pas, tant qu'elle reste dans le très pudibond Royaume-Uni. Cette silhouette sortie tout droit de l'imagination de l'auteur, délicieuse, malicieuse, intelligente, sera celle qui nous fera rencontrer deux figures incontournables de la littérature romantique française, et non des moindres : Victor Hugo, le génie incarné rebaptisé Toto par sa Juliette, l'éternelle amante, et Prosper Mérimée, passé à la postérité grâce à sa Carmen après avoir débuté sa carrière sous un pseudonyme, je vous le donne en mille, d'une héroïne ibérique, melle Clara Gazul. Ole ! La boucle est ainsi bouclée. D'abord amis puis rivaux, chacun traversera l'existence épique de notre guide.
La dernière phrase de roman me restera en mémoire à vie tant elle est juste : Prosper Mérimée va sauver notre patrimoine et nos monuments historiques, Hugo deviendra quant à lui un monument historique.
Quelle destinée pour ces deux hommes qui ont façonné chacun à leur manière notre culture, notre cadre de vie, notre société !
Tous deux font des débuts remarquables dans le monde de la littérature, mais quand l'un doit trouver un moyen de subsister car l'écriture ne le nourrit pas, l'autre enrichi par son chef d'oeuvre "Notre Dame de Paris", peut se consacrer à ses travaux de plume et toutes ses passions qui sont nombreuses. L'un va se donner corps et âme à sa mission de sauvetage du patrimoine architectural de la France dans ses fonctions d'inspecteur général des monuments historiques, mettant en place une organisation encore effective aujourd'hui, créant le métier d'architecte des monuments historiques, établissant un relevé des œuvres et bâtiments remarquables, créant des musées partout pour protéger les oeuvres convoitées par des rapaces telle notre narratrice, rédigeant même des textes de lois poursuivant ce même but, faisant renaître des châteaux, cathédrales gothiques et autres merveilles sous la houlette du très célèbre Viollet-le-Duc... Alors oui, Prosper Mérimée va réaliser son grand oeuvre grâce à ce rôle d'inspecteur au service d'un ministère et donc de l'état. Il va certes collaborer avec les différents dirigeants et particulièrement Napoléon III : est-ce par servilité aux puissants ou plus vraisemblablement par tendresse et affection pour l'épouse du dictateur, étant pour lui comme une fille qu'il n'aurait pas eu ?
Face à lui l'homme sans fortune au positionnement très réactionnaire et traditionnaliste, Victor Hugo riche et adulé s'oppose au pouvoir en place, prend fait et cause avec brio et grandeur pour le peuple, pour le socialisme, jusqu'à être exilé pendant près de vingt ans. On n'a peine aujourd'hui à imaginer la célébrité de Hugo et l'adoration que lui voue les français. Même banni, ses oeuvres sont vendues avec succès, attendues, espérées. De plus, c'est un génie en tout ce qu'il décide d'entreprendre. Il m'est apparu comme un colosse envahissant, un ogre aux pieds d'argile, comme un trou noir vers lequel tout est irrémédiablement attiré. Il est si incandescent qu'il brûle malgré lui ceux qu'ils l'entourent... Il finira sa vie après avoir enterré tous ses proches, lui qui ne pouvait vivre sans amour et preuves d'amour constantes. Épuisant et bouleversant à la foi.
Prosper Mérimée est son contraire, il est si touchant, si discret.... la lumière constante sur Hugo l'importune, le dérange, le rend jaloux, car il sait que même s'il remplit ses devoirs envers le ministère, s'il reçoit les plus grands honneurs et gratifications, tout le temps employé à cette carrière de fonctionnaire n'est pas utilisé pour ce qui lui tient vraiment à cœur : écrire. Il pense qu'il n'a pas de souffle, de carrure comme Dumas ou Hugo, pères d'oeuvres interminables et monumentales. Heureusement grâce à Bizet et son opéra, cette injustice sera réparée.
Si les deux hommes se sont affrontés, finalement ils ont œuvré tout deux à leurs manières à la grandeur et au rayonnement de la France.
Un roman et une fresque historiques formidables, un voyage fabuleux nous faisant presque toucher la peau de ces deux héros, nous les ressuscitant l'espace de 464 pages lues avec joie, passion, amusement, émotion. Nous assistons aussi grâce à cette chère Emily Dingham à la naissance d'une femme moderne bien décidée à vivre pleinement sa vie en toute liberté.
À emporter avec vous partout cet été grâce à ce nouveau format poche. J'ai adoré ce livre, cette narratrice. J'ai beaucoup appris avec un énorme plaisir.
Merci à l'éditeur pour sa confiance renouvelée.