
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Un ciel de cendres
Édith Soonckindt
Edern
Le 24 janvier 2025
208 pages
historique
Chronique
13 mars 2025

"Il n'y a pas de mort. Je peux fermer les yeux, j'aurai mon paradis dans les cœurs qui se souviendront. Même si cet univers est fini, il est, dans les limites de l'espace et du temps, inépuisable." Maurice Genevoix (1890-1980)
Comment décrire à une fille, devenue une vieille femme fragile, les derniers jours de son père dans un camp de concentration polonais, celui de Majdanek ?
Pourquoi le faire, d'autant plus, avec un luxe de détails ? Le diable se cache, dit-on, dans ces détails alors, quoi ? Est-ce de la cruauté, de l'abus de faiblesse, du sadisme ? Ou peut-être du masochisme, car peut-on sortir indemne de cette quête de vérité absolue ?
"Je doute que cela vous agrée, mais puis-je me permettre de vous rappeler que je dois vous parler de votre père, de ce qui lui est vraiment arrivé, ici comme avant. Je m'y suis engagée afin de ne pas ajouter du néant au néant, je crois que c'est là ma motivation principale, même si c'est douloureux pour vous."
Quelles raisons poussent Édith Soonckindt à rédiger cette longue lettre à Isabelle Kahn, juive ayant quitté l'Allemagne, son pays natal, sous le nom de Ilse en 1933, pour vivre à Colmar avec son époux, puis qui a dû fuir pendant cinq années, avec ce dernier et ses parents, devant la barbarie nazie ? Elle qui a vécu dans la terreur à chaque fois que l'un ou l'autre était attrapé, déporté, (6 fois pour Julius Wolff avant la 7e fatidique), à chaque fois que résonnait le bruit des bottes ? Pourquoi insister, pourquoi gratter les cicatrices, pourquoi ?
Peut-être parce que lorsqu'on n'a aucun corps a enterré, que la trace de l'existence d'un père n'est perceptible que par quelques lignes dans un registre, on a un besoin viscéral de savoir tout, de pouvoir tout imaginer, afin de se mettre à la place de l'être aimé et perdu dans un nuage de cendres.
Peut-être aussi que la shoah et la déportation en camp d'extermination de tous les êtres haïs par Adolf Hitler et ses sbires nous a tous transformés, choqués, que nous portons en nous, même si nous ne sommes pas juifs, le poids du chagrin. La sidération et l'état post-traumatique se transmettent dans le silence, de génération en génération depuis.
Tout le Bien que l'on fait à un enfant se reporte sur toute l'humanité... Qu'en est-il du Mal ?
" Et alors que l'on avait crié "Plus jamais ça ", "ça " s'est déjà reproduit bel et bien, que ce soit au Viêt-Nam, au Rwanda ou dans les Balkans pour ne nommer que ces pays-là, avec un sadisme et une efficacité qui n'ont eu que peu à envier aux criminels nazis. "
Oui, les génocides continuent, encore et encore, presque une banalité. Oui, les préceptes fascistes réapparaissent encore là où jamais nous n'aurions pu imaginer qu'ils le feraient... Et nous restons tétanisés. Y-a-t-il encore un espoir d'humanité ? L'Amour du prochain, vivre en paix, sont-ce des chimères ?
Edith Soonckindt met ses pas dans ceux de Julius Wolff mais aussi cale ses battement de coeur sur les siens. La douleur est totale, comme l'incompréhension face au Mal absolu. L'amnésie des peuples oubliant leur Histoire et recommençant inlassablement les mêmes erreurs participe au sentiment d'inéluctabilité, d'un destin qui toujours nous rattrape, de peur, d'une absence d'espoir. C'est ce qu'utilise les dictateurs d'aujourd'hui justifiant ainsi tous leurs crimes, s'appuyant même sur cette fameuse Histoire pour justifier leurs actes actuels.
Une guerre inlassable, un massacre inimaginable, et les pierres des camps, des villes, des maisons où a explosé la barbarie exhalent inlassablement les ondes empoisonnées comme pour nous avertir... Sommes-nous aptes à écouter ?