" Le lecteur rencontrera deux ou trois circonstances invraisemblables que nous maintenons par respect pour la vérité. "

Victor Hugo, Les Misérables 

" Il y a un prix à payer. Et ce prix, c'est souvent soi-même. "

John le Carré, Le Voyageur secret

Des chapitres très courts, un rythme effréné, un roman digne des plus célèbres titres d'espionnage mais aussi une saga familiale et un thriller terrifiant sur les pas d'un tueur en série, ajoutez des sauts entre la région parisienne et Prague, et vous avez une vue d'ensemble de ce troisième opus encore une fois époustouflant, de la série imaginée par Pierre Lemaitre pour notre plus grand plaisir. Normalement, nous pouvons espérer un quatrième épisode pour clôturer ce cycle intitulé "Les années glorieuses". 

Librement inspiré par des évènements gravissimes survenus en URSS et Angleterre en 1957, et surtout des postures adoptées alors par les gouvernements choisissant la désinformation, façon de cacher leurs saletés sous le tapis, ce texte résonne étrangement avec ce que nous supportons depuis des années. 

Ambiance anxiogène résultant de la guerre froide et de la course au nucléaire, l'après-guerre laisse un goût d'amertume et d'insatisfaction. J'ai beaucoup pensé à la série de la saison 9 de " Les enquêtes de Foyle". La peur quotidienne n'a pas disparue, loin s'en faut : les destructions d'Hiroshima et Nagasaki ont certes mis un terme au conflit mais à quel prix ! Le monde est entré dans une nouvelle ère terrifiante, commence une escalade. Tous les moyens sont bons, toutes les bassesses, toutes les trahisons sont envisageables, tant au plan des relations internationales que dans l'intimité familiale. 

Nous retrouvons donc les Pelletier, Louis et Angèle, revenus en hâte de Beyrouth, installés au Plessis. Ils ont recueilli, afin de la protéger des violences maternelles, Colette âgée de onze ans, la fille ainée de Jean (Bouboule), leur fils, et son épouse Geneviève, très "vipère au poing". Le couple a très bien réussi grâce à leurs magasins Dixie. Jean cache un secret effroyable sous les apparences de lâcheté et de soumission à sa femme. Son fils Philippe est entièrement sous la coupe de cette dernière.

Nous retrouvons également François, journaliste au "Journal du soir", ( inspiré de France soir), et intervenant également dans une émission télévisée rappelant les heures glorieuses de "Cinq colonnes à la une". Son couple avec Nine est toujours harmonieux. Elle s'est lancée dans la restauration de livres de collection à son compte. 

Hélène et Lambert ont un cabinet de courtage florissant en cette période de reconstruction et de reprise de l'économie. 

Tout semble aller bien mais le sort va encore frapper. Jean est invité à rejoindre un groupe d'entrepreneurs français se rendant à la demande du gouvernement tchécoslovaque à Prague. Serait-ce enfin le moment pour lui de s'affirmer face à sa Gorgone de femme, son père indifférent, de trouver sa place en ce monde ? La colère haineuse qui couve en lui menace à tout moment d'exploser...

Colette est à un tournant de sa vie et se sent menacée par le voisin de ses grands parents, un être répugnant au regard libidineux. 

François est de plus en plus à l'étroit en raison des directives gouvernementales visant à censurer la presse. Sa hiérarchie le rappelle à l'ordre, il doit prendre des décisions immédiates, sa conscience professionnelle et morale l'y oblige. 

À partir de ce moment, l'Histoire se mêle au cours de la vie des personnages de ce récit somptueux, drôle, incisif, caustique, prémonitoire, réjouissant pour tout amoureux des belles lettres. 

Un troisième opus de très bonne facture où les protagonistes sont poussés dans leurs retranchements. Un épisode révélateur de la nature profonde de chacun, construit comme le scénario d'un film historique, mi polar, mi récit d'espionnage des années 1959-60. 

J'attends la suite avec impatience car j'espère que certains vont enfin recevoir le châtiment qu'ils méritent. De plus, j'ai hâte de retrouver la plume incomparable de Pierre Lemaitre.