
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Tu n'auras pas peur
Michel Moatti
Hervé Chopin Editions
2017
474 pages
Thriller
Chronique
14 novembre 2017

Prix du meilleur roman francophone à Polar, 22e édition du Festival de Cognac il y a peu, récompense plus que méritée pour un thriller vertigineux bâti sur des événements réels et monstrueux de1993, à Liverpool.
Également construit comme un reportage de guerre édifiant, celle que se font les journaux et " pseudo médias" dans la presse écrite, à la télévision et surtout sur le net au mépris de la déontologie, dans une course effrénée à l'horreur montrée en exclusivité, au largage d'images chocs et d'informations réelles ou non, juste pour faire le buzz.
Michel Moatti fut journaliste et son amour de cette profession en même temps que sa colère face à sa dérive sont évidents à chaque ligne.
« Tu n'auras pas peur des frayeurs de la nuit,
ni de la flèche qui vole le jour,
de la peste qui marche dans les ténèbres,
ni de la destruction qui dévaste en plein midi.
Il en tombera mille à ton côté, et dix mille à ta droite ;
Toi, tu ne seras pas atteint. » Psaume 91(90), 5-7
Des mots que doit se répéter chacun de nous mais spécialement Lynn Dunsday, ou Evangeline, tous les jours où elle part à la bataille, jeune journaliste de terrain, pour le Bumper sur le net, brillante, pugnace, sans aucune concession, déjà célèbre grâce à un de ses livres sur une tueuse d'enfants.
Ils lui seront précieux ces mots pour affronter un criminel de la pire espèce qu'elle comparera à une Élytre, cette libellule au crochets empoisonnés et ensanglantés.
Les réseaux d'informateurs en ce 24 janvier à 6h49 sont en émoi, le réseau Pierre de lune donne l'alerte quant à une scène de crime bizarre au Crystal Palace. Lynn y fonce et y retrouve son collègue, vieux routard de la presse écrite, Trevor Sugden. Tous deux tiquent à la vue de cette mise en scène : le corps immergé d'un métis de trente ans, attaché à un siège d'avion, vraisemblablement noyé.
Leur conception à l'ancienne du métier et leur déontologique seront le moteur qui les poussera à poursuivre ensemble cette enquête. Pensant chasser le serial Killer qui commettra d'autres monstruosités spectaculaires pendant près de trois semaines, copiant des scènes de crimes ou d'accident des années 60/70, ils vont tomber peu à peu dans un piège monté avec brio par un esprit supérieur en mal de reconnaissance et de célébrité, adepte de toutes les techniques d'information et des lieux de diffusion sur le net.
La description du monde de la presse aujourd'hui donne le tournis et fait réellement peur. La police et les médias doivent faire cause commune car les règles ont changé et la vitesse de propagation des derniers événements toujours plus rapide les y oblige.
Cette soif du public de trash, de vidéos atroces, de sensationnel, lui qui semble si blasé et repu de nouvelles et exclusivités 24h/24 est obscène et le mette en danger. Comment être dans ce rush permanent, bombardé d'images, capable d'analyser les faits, d'exercer son libre jugement. Impossible ! Là commence la manipulation de l'opinion.
Notre tandem très attachant va être renforcé par le fiancé de Lynn, Andrew Folsom, policier.
La scène finale concernant la traque elle-même sur plus de cinquante pages, en extraits brefs, nous faisant osciller entre les différents protagonistes en plusieurs lieux dans le même espace temps est prodigieuse. On la voit, de par ses qualités proprement cinématographiques, on la lit dans l'urgence, tant les éléments donnés nous aident à élucider bien des points restés obscures pendant le récit, en particulier concernant Lynn.
Le plus terrifiant dans ce thriller est qu'il découle d'un crime réel, battant tous les records d'ignominie et d'irrationnel. La fiction n'égalera pas ce que l'homme est quelques fois capable de commettre au nom du mal. Les zones d'obscurité nous entourent et nous cernent, peut-être est-ce la raison pour laquelle, nous faisons tant de bruit, nous exposons nous tant dans la lumière. Espérons qu'il n'y aura pas un prix énorme à payer.
PS : Evangeline, mon prénom aussi, signifie messagère de vie.