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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Trencadis

Caroline Deyns

Quidam Éditeur

Août 2020

346 pages

Biographie

Chronique

1 mars 2021

Le premier mot qui me vient est italien pour prolonger les dernières pages de ce roman biographique : stupendo !

Créant la stupeur par sa beauté, sa créativité, son originalité, son humanité, son onirisme.


Ce livre est une oeuvre d'art à part entière tant par l'extrême beauté de l'écriture, la profondeur des sentiments exprimés, que par le choix de fragmenter le récit en autant de morceaux d'un Trencadís, formant finalement un tout harmonieux, joyeux , coloré, vivant, vibrant mais aussi mystérieux, comme un tour de magie, abracadabra ; l'illusion du bonheur cache un secret.... Le Secret qui empoisonnera la vie de Niki de Saint Phalle, mais aussi celle de deux autres membres de sa fratrie et plus tard pèsera insidieusement et indirectement sur la destinée de son fils.


Une enfance qui n'en est pas une, Niki telle une vigie tournant sur elle-même à 360° afin de voir venir l'orage, les coups, les mots qui tuent. Une gamine intranquille, taiseuse mais qui n'en pense pas moins. Déjà cette faculté d'encaisser mais surtout de juger les adultes et surtout les parents. Il lui faudra attendre ses 64 ans pour enfin révéler l'infamie, utiliser cette fois des mots à la place des sculptures, des couleurs pétantes dans " Mon secret" paru en 1994.


Niki renaît inlassablement à elle-même ; ses pathologies, souvent des maladies auto-immunes, sont l'expression extérieure d'une douleur intime jamais cicatrisée. La peinture d'abord en planche de salut, découverte, tentée, lors d'un atelier d'art-thérapie, alors qu'elle est internée en clinique psychiatrique. Du laid, du mal inexorablement Niki oppose le rire, la couleur, la fantaisie comme pour dire "même pas mal". Mais elle a mal et panique à l'idée de faire souffrir les autres et surtout sa fille et son fils. Femme-enfant, enfant-femme, elle divorce de Harry, son premier mari écrivain, ne pouvant se résigner à n'être que la femme de....


Elle quitte l'homme et les enfants, sacrilège ultime qui jette l'opprobre sur elle alors que s'exprime en réalité sa terreur de devenir comme sa génitrice qui ne fut jamais une mère, une maman, mais bien une vipère accrochée à son poing. Elle doit reprendre sa liberté et protéger ses enfants d'elle, alors oui, elle part en les laissant derrière elle. Qui peut comprendre ?


Elle ne se fera aucun cadeau, prendra des décisions viscérales, son oeuvre sera le fruit de son génie intuitif, de la nécessité de crier ce qui lui est arrivé et de prévenir les autres du danger...

Son oeuvre et celle qu'elle créera également avec son grand amour Jean Tinguely, sont d'une contemporanéité bluffante.

La mission qu'elle se donne à travers ses sculptures monumentales, ses parcs pour enfants construits avec ses deniers, sont autant de cris d'alarme pour alerter l'humanité, et de manifestes de liberté lancés à la face de son père incestueux et de sa mère maltraitante.


Ce roman, à l'instar de chaque création de Niki de Saint Phalle, est un cadeau d'une grande générosité, magnifique de poésie dans le geste, " fragmenter la vie de l'artiste comme une fresque du parc Güell", et dans la forme et la mise en page. L'histoire nous est contée tantôt par Carolina Deyns, tantôt par Niki, dans un dialogue à travers le temps.


On y redécouvre l'artiste bienveillante, surdouée, courageuse, soucieuse de tous et des plus faibles, en particulier, engagée dans des causes telle la lutte contre le SIDA qui décime ses amis en créant des préservatifs colorés, joyeux, ou la défense des droits des femmes.


Une frappa dingue qui n'a rien d'une folle bien qu'elle soit illuminée de l'intérieur. Une guerrière à la capacité de résilience extra-ordinaire qui choisit la lumière, la beauté et la bonté pour vaincre les monstres.

Quatrième de couverture

«Je montrerai tout. Mon cœur, mes émotions. Vert - rouge - jaune - bleu - violet. Haine -amour - rire - peur - tendresse.»
Niki hait l'arête, la ligne droite, la symétrie. A l'inverse, l'ondulation, la courbe, le rond ont le pouvoir de déliter la moindre de ses tensions. Délayer les amertumes, délier les pliures : un langage architectural qui parlerait la langue des berceuses.
Aussi vit-elle sa visite au parc Güell comme une véritable épiphanie. Tout ici la transporte, des vagues pierrées à leur miroitement singulier. Trencadis est le mot qu'elle retient : une mosaïque d'éclats de céramique et de verre. De la vieille vaisselle cassée recyclée pour faire simple.
Si je comprends bien, se dit-elle, le trencadis est un cheminement bref de la dislocation vers la reconstruction. Concasser l'unique pour épanouir le composite. Broyer le figé pour enfanter le mouvement. Briser le quotidien pour inventer le féérique. Elle rit : ce devrait être presque un art de vie, non ?

«J'aime l'imaginaire comme un moine peut aimer Dieu.»

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