
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Toyer
Gardner McKay
2013
768 pages traduites par Fabrice Pointeau
Thriller
Chronique
7 avril 2020

Thriller psychologique et analytique par excellence tournant autour de la personnalité psychotique d'un criminel qui ne tue ni ne viole ses victimes, « ses femmes », qui leur vole leur vie en les lobotomisant après avoir joué avec elles au propre comme au figuré.
Mais tout est un jeu dans ce roman situé évidemment dans la cité des anges déchus, L.A., où les apparences sont reines, où chacun joue sa partition parfaitement selon les codes de cette société de l'image et de la désinformation.
Et cela se traduit dans la mise en page par des chapitres en italique où la pensée réelle des intervenants nous est livrée, et ce n'est pas toujours joli joli, ni raccord avec la situation. Tout le monde porte des masque par convention, par peur, par stratégie, par obligation. Et Toyer n'est pas le seul à savoir travestir sa nature réelle, tous ont des lignes de fracture qui peuvent se colmater ou au contraire s'approfondir.
C'est un livre scénario, télégraphique et factuel avec quelques entorses parfois ; nous y sommes spectateurs, nous n'intervenons pas, nous sommes comme les victimes, sans possibilité d'influer sur le cours de l'histoire, piégés dans ces lignes droites, dans un décor aux angles aigus. Également les frontières entre chaque classe sociale sont très nettes, et curieusement les couples se forment par catégorie professionnelle : acteurs, journalistes, médecins.
Les femmes, quand elles ne sont pas abaissées à un rôle de poupée, ont des métiers créatifs, de pouvoir, d'influence.
Cependant, ce qui m'a paru très curieux et en même temps très juste, c'est que malgré cela, nous naviguons dans un monde totalement patriarcal et paternaliste où les hommes toujours dominent, jusque dans les scènes intimes, plus proches de la baise pure et dure que du partage. L'espèce de pic à glace utilisé par Toyer, le trocart, s'apparente au pénis violeur.
Symboliquement c'est évident, pas original mais très efficace, comme tout ce récit vif, précis, saccadé, brillant. Un bémol, certains dialogues que j'ai trouvés très datés, verbeux comme dans les films en noir et blanc des années 1950.
L'auteur décrit aussi le petit monde de la presse écrite, de l'édition, des acteurs de Los Angeles avec dureté, sévérité, amusement ou ironie teintée de dégoût. Vitriol pur pour dégommer tout ce qui pervertit notre société ou les rapports humains. Toyer va être seulement le révélateur des dysfonctionnements de notre univers moderne en devenir, étant donné que cela se passe à un moment où le téléphone mobile n'est pas encore dans chaque main ni les réseaux sociaux démocratisés. Gardner McKay est malheureusement décédé en 2001 après un parcours très atypique lui donnant toute légitimité quant à ses avis tranchés sur les microcosmes du cinéma, de la presse, de l'édition.
Adapté par Philippe Djian pour le théâtre et par Brian de Palma pour le grand écran, ce livre est un des chef-d 'œuvres oubliés du thriller, paru aux États-Unis en 1999, publié en France en 2011.