
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Sublime Royaume
Yaa Gyasi
Calmann-Lévy
19 août 2020
374 pages traduites par Anne Damour
Historique
Chronique
11 novembre 2020

Premières lignes des remerciements de l'auteure :
« Ce roman, par bien des aspects, est une conversation entre mon travail et mes intérêts et ceux de ma brillante amie Christina Kim, chercheuse post-doctorale au laboratoire Ring de l'université de Stanford. Les recherches de Gifty et son projet de thèse sont inspirés du travail de Tina au laboratoire Deisseroth de Stanford... »
Ce roman est un hommage de l'auteure à une de ses amies, Tina Kim, scientifique et chercheuse.... Habilement, Yaa Gyasi créée un personnage féminin réunissant des caractéristiques essentielles de leurs deux personnalités : et voici Gifty dont la mission sur cette Terre est de trouver l'origine et une solution aux effets de certains médicaments sur certains individus, induisant des pathologies gravissimes.
Il semble que l'éditeur français de ce Sublime Roman n'a pas pris réellement connaissance de cette déclaration de l'écrivaine, ni vraiment lu le texte en sa totalité et en détail. Donc forcément, puisque l'auteure est noire ce doit être un énième récit sur la difficulté d'être de couleur aux USA... et comme cette jeune héroïne décrit ses relations délicates avec sa mère, c'est obligatoirement un texte sur le choc des générations.... Voir la quatrième de couverture. Je reste sans voix.
Comme tout ceci est réducteur et inexact !
Ce deuxième roman de Yaa Gyasi est très différent du premier opus « No home ».
Ici c'est une américaine qui est le personnage principal, jeune fille brillante, scientifique, solitaire, méfiante, noire effectivement, en état d'urgence et de souffrance, surtout, qui depuis ses onze ans porte sur ses épaules le poids d'une responsabilité insupportable....
Sa mère, ghanéenne, a pris la décision d'émigrer aux USA et plus particulièrement en Alabama où elle avait de la famille... Elle y part en premier, y fait sa place sans qualification particulière dans une société blanche majoritairement, et raciste de tradition. Son fils Nana est avec elle, son mari Tchin-tchin la rejoint bientôt, et naît plus tardivement Gifty la bien-nommée. Car cette enfant est effectivement un don pour les siens et comme nous le comprenons peu à peu, pour toute la société.
Gifty aime en ordre d'importance : 1/Dieu, 2/son frère, 3/sa mère... Le père est retourné au Ghana donc n'est plus qu'une voix lointaine au téléphone.
Nana, footballer talentueux adulé par cette petite ville de l'Alabama, bien que noir, donc intégré dans la société, est victime d'un accident lors d'un match et se retrouve avec une cheville abîmée. Ordonnance pour un anti- douleur à base d'opiacé.
Le destin vient de frapper ce trio qui sera détruit. La communauté va se détourner peu à peu de l'ancien champion. Ni la congrégation pentecôtiste blanche dont fait partie cette famille noire, ni l'entourage, ne vont tendre la main... L'hypocrisie, les rumeurs, un silence assourdissant les entourent.
La petite fille intelligente, sensible qu'est Gifty, se renferme encore plus, elle supplie Dieu dans son journal intime, elle a honte de ce malheur qui l'isole, la met en quarantaine comme une maladie contagieuse. Effectivement, sa couleur de peau ne facilite pas les choses, mais jamais l'auteure ne met ce fait à l'origine du destin tragique de sa famille.
Pour Gifty, en perdant son frère, elle perd Dieu qui n'a jamais répondu à ses supplications, et elle perd sa mère, qui s'enfonce dans les ténèbres. Celles-ci deviennent dépression grave après la prise d'un somnifère.
Et la petite fille devient soutien de famille. Un bref séjour chez sa tante maternelle au Ghana ne peut alléger sa peine. Elle n'a qu'une hâte rentrer dans son pays, dans sa ville d'Alabama. Elle ne se sent pas du tout liée au pays d'origine de sa mère, qui elle aussi refusera d'y retourner, même si elle continue à parler twi et cuisine des plats de son enfance. Ce sont des américaines heureuses de vivre aux USA où elles ont fait leur place.
À partir de là, Gifty, scientifique dans l'âme devenue étudiante n'a plus qu'un but : comprendre les raisons de tant de malheur. C'est dans son laboratoire qu'elle pense trouver l'origine du mal, et ses découvertes pourraient aider d'autres familles. En parallèle, l'auteure grâce à des flashbacks ou la lecture du journal de Gifty, nous permet d'accompagner cette petite fille dans son quotidien infernal et terrifiant auprès d'une mère détruite. Adulte trop tôt, elle est le témoin désespéré de la chute des deux êtres les plus précieux à son cœur.
C'est là le sujet principal de ce roman.
Gifty va-t-elle réussir ? Pourra-t-elle, après avoir mené à bien ses recherches, se permettre enfin de vivre pour elle-même, de s'ouvrir au monde ? Pourra-t-elle sauver sa mère et tous les Nana de la Terre ?
Un roman original écrit par une femme très intelligente, très fine qui choisit ses mots avec un grand soin, qui traite ici brillamment d'un sujet délicat, important pour nous tous, pour toutes les familles ou proches accompagnant les malades.