
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Saturne
Sarah Chiche
VDP Voir De Près
11 janvier 2021
392 pages, gros caractères
Biographie
Chronique
6 septembre 2021

Très beau texte d'une femme restée une enfant et une orpheline, incomplète jusqu'à ce que la "rencontre" avec son père, cet inconnu, cette ombre se fasse enfin indirectement.
Pour que le trou béant laissé par l'absence, les silences, les mensonges, puisse être comblé, il faut que Sarah remonte à l'origine le cours de l'histoire familiale, jusqu'en Algérie alors sous gouvernance française, donc au XIX ème siècle, alors que des médecins, des soignants, mettent en place des structures et établissements de santé : les aïeux de la narratrice sont parmi eux, formant bientôt une lignée célèbre de médecins et propriétaires de cliniques à la pointe de la technologie. Ils font fortune, font partie de l'élite, ont des privilèges, une réputation, une situation enviable, du pouvoir.
Tout cela ne sera pourtant pas suffisant : de confession juive, considérés comme ennemis des Algériens, ils fuient sans rien, en abandonnant tout derrière eux. Arrivés en France, avec pugnacité, ils recommencent à zéro ; assez rapidement, grâce aux relations, rachat d'un hôtel particulier en ruine et ouverture d'une nouvelle clinique à l'image de celle abandonnée en Algérie devenue indépendante. Succès rapide, la famille s'enrichit, se repositionne en haut du panier. Le marché de la santé peut-être très lucratif.
Les grands parents de Sarah ont deux fils : Harry au contraire de son frère, le plus beau, le plus intelligent, prunelle des yeux de sa mère, est un garçon doux, solitaire, fragile, en manque certain d'amour, de respect, de reconnaissance parentale. Il ne veut absolument pas reprendre le flambeau de la médecine, il rêve en regardant les étoiles, il rêve de Saturne ...
La rencontre avec la mère de Sarah est un coup de foudre. Elle sera son astre, son étoile du berger. Elle est incandescente, dangereuse, paumée, versatile, violente, cyclothymique.
Elle est détestée par sa belle famille....Harry l'adore et s'y brûle. La petite fille perd son père victime d'un cancer, les parents s'effondrent eux qui n'ont jamais pu exprimer leur affection, le frère aîné également, son épouse essaie de se jeter dans la tombe encore ouverte, bref chacun se love sur sa propre douleur oubliant cette enfant laissée dans l'ignorance de ce qui se déroule alors. Pas d'adieu, pas d'explication, une chappe de plomb lui tombe dessus en même temps que la dalle dans le cimetière sur la boîte où repose Harry.
Évidemment la lutte reprend entre les grands parents, l'oncle, d'une part, et la mère de Sarah de l'autre, celle-ci se retrouvant écartelée entre tous. Les mensonges s'accumulent, la petite puis la jeune fille, la femme, grandissent amputées, incapables de se construire. Comment va-t-elle pouvoir s'en sortir ?
C'est ce parcours personnel et familial qui nous est conté somptueusement faisant alterner la violence, la crudité, la poésie, la sensualité la plus extrême. Texte magnifique, courageux, précis historiquement mais aussi dans l'analyse des méandres psychologiques de chacun des protagonistes : il apporte à celle où celui qui le lit des éléments de réponse quant à des questions qu'elle/il se pose sur son parcours intime.
Je n'ai pu enregistrer en vidéo le début du récit faute de temps, dans l'obligation de le rendre à la médiathèque Pablo Neruda de Malakoff, et je le regrette, car la musique de ces lignes est envoûtante et magnifique. Un bonheur presque gustatif m'a envahie à la lecture à haute voix.
À lire donc, car singulier et porteur d'espoir en la résilience de chacun quelque soit la douleur subie.