
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Retour à WhiteChapel
Michel Moatti
Hervé Chopin Editions
24 janvier 2013
350 pages
Thriller
Chronique
21 février 2017

J'ai dû sortir à la fin de Retour à WhiteChapel, pour respirer, infiniment triste et bouleversée, nauséeuse aussi de colère. Pourquoi me suis-je dit ? Parce que c'est vrai, parce que aujourd'hui sur un plan général, le massacre, les génocides, les viols comme armes de guerre, les femmes victimisées, sont toujours d'actualité. Ce n'est pas le passé, c'est également le présent et le futur.
Ces deux livres indissociables pour moi ne sont pas des thrillers, mais des enquêtes précises au scalpel, remarquablement rédigées et construites, ne souffrant aucun à peu près, où Michel Moatti utilise avec ingéniosité le personnage fictif de Amelia Pritlowe, infirmière au London Hospital, comme lien entre les deux affaires. Elle apprend donc par une lettre de son défunt père, qu'elle est la fille de la dernière victime de Jack the Ripper, Mary Jane Kelly.
RETOUR à WHITECHAPEL : Nous sommes en 1941, Londres est bombardé, détruit, mis à l'agonie, le monde s'écroule à l'instar d'Amelia qui en est le témoin privilégié et qui dans un premier temps s'effondre devant la vérité concernant son passé. C'est une femme dont on a aucune description physique réelle, elle est banale, on se doute qu'elle a une cinquantaine d'année, elle n'est en rien remarquable extérieurement ; elle est extraordinaire en revanche par son besoin de prendre du recul pour enquêter, de se distancier intellectuellement pour comprendre l'indicible, connaître son histoire et reconnaître sa mère, remettre à plus tard les pleurs, la chute. Elle est sans visage, elle est du coup tous les visages et particulièrement ceux des femmes qui sans ce drame seraient tombées dans l'oubli et l'anonymat.
Elle va être notre guide tout au long de cette première enquête sur Jack, en 1888, au coeur de l'East End, pendant l'Ere Victorienne, avec sa société de classes où toute une partie de la population crève de faim, de maladie, dans l'indifférence générale. C'est une société viciée, violente, injuste, sans aucun espoir pour les plus faibles et évidemment en premier lieu pour les femmes. On en prend plein la tête, par exemple lors des descriptions des premières manifestations de révolte menées par des ouvrières courageuses et défigurées par l'usage du phosphore dans les manufactures d'allumettes. Car ce premier livre est aussi une dénonciation de ce qu'on fit aux femmes les plus pauvres, des exactions de certains en pleine ère industrielle pour s'enrichir.
Jack l'éventreur est à mes yeux un symptôme et un symbole de cette époque, de ce monde sans moralité, sans notion réelle de Bien ou de Mal, où l'hypocrisie règne en maître. Amélia nous tiendra la main jusqu'au bout de l'horreur. On pense tous à tort connaître cette histoire, quelle manque de modestie ! Grâce à sa bravoure, à son journal, nous sommes directement impliqués, et les larmes montent aux yeux. Comme Femme je suis révoltée, je pleure sur ces 5 victimes de la barbarie inhumaine et de la bêtise de la police et des autorités judiciaires de l'époque. Pensez donc..... des femmes indigentes vendant leurs corps pour survivre ! L'enquête est très bien menée, la proposition de Michel Moatti concernant l'identité réelle de Jack est tout à fait crédible, à bien des titres.