
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Quattrocento
Stephen Greenblatt
Flammarion
2011
289 pages traduites par Cécile Arnaud
Historique
Chronique
1 octobre 2017

Titre original « The swerve » , l'embardée ou l'écart.
Fresque historique illustrant les conséquences de la redécouverte en 1417 par Poggio Bracciolini, humaniste, du poème antique magnifique et prémonitoire du philosophe Lucrèce intitulé « De rerum natura » ou « De la Nature » qui influera sur la pensée philosophique, chrétienne et scientifique tout au long des siècles suivants jusqu'à aujourd'hui.
Stephen Greenblatt réussit à simplifier les évènements et à nous en montrer clairement leurs articulations de l'Antiquité au XXE siècle. Quattrocento a été couronné par le prix Pulitzer et le National Book Award aux USA. Quel dommage que je n'ai eu un tel professeur passionné par l'Histoire et la Philosophie !
Poggio Bracciolini est né en 1380 à Terranuova une bourgade contrôlée par la République de Florence. Fils d'un notaire, et peut-être aussi apothicaire Guccio Bracciolini, son grand père maternel Ser Michaelle avait déjà le talent d'écrire avec une calligraphie extraordinairement belle. Talent dont va hériter Poggio. Après un passage à Arezzo petite ville où se réfugie la famille poursuivie par des créanciers, Poggio arrive enfin à Florence à dix ans. Sa belle écriture, éloignée de la gothique utilisée jusque là est aérée et lisible.
Il va accomplir l'oeuvre remarquable avec certains de ses amis humanistes d'une révision complète de l'écriture dont nous bénéficions encore aujourd'hui.
Également, le Pogge est passionné tout comme Pétrarque 25 ans avant lui, par l'héritage culturel de la Rome antique. Un des plus proches amis de Pétrarque était Coluccio Salutati qui devint le grand chancelier de la République de Florence. Il prit plusieurs jeunes esprits sous son aile dont Poggio et Niccolo Niccoli. Celui-ci outre la réforme de l'écriture, réouvrira une bibliothèque sur le modèle romain en y invitant les plus beaux esprits du temps à s'y abreuver.
Ce Quattrocento plus que de recréer une Rome où la discussion philosophique était un plaisir et une habitude, et où les bibliothèques publiques pullulaient pour le bien de tous, se propose d'après les enseignements des antiques grecs et romains de créer une nouvelle pensée, une nouvelle société.
Or depuis la chute de Rome, fin du troisième siècle, et l'avènement du Christianisme de soumission, de culpabilité, d'expiation sous domination d'une Église au fil des siècles de plus en plus puissante, hypocrite, violente et dissolue, ce tournant que veulent emprunter les humanistes tel que Poggio et ses amis est difficilement acceptable et sent même le souffre.
D'autant plus lorsque en 1417, notre bibliophile jusque là au service du pape corrompu et contesté Jean XXIII bientôt déposé en plein schisme, alors en Allemagne, découvre au fond de la bibliothèque d'un de ses couvents une copie de "De rerum natura" de Lucrèce.
Tous les petits arrangements avec sa conscience de athé au service du pape, d'auteur de Facéties grivoises et de pamphlets, d'amoureux des arts, des femmes (19 enfants tout de même), détestant l'Eglise bien qu'y restant des décennies, sont emportés par la lecture du long poème philosophique de Lucrèce qui lui ouvre les portes des Temps Modernes.
Lucrèce est un adepte de la pensée de Épicure. Oubliez le sens donné aujourd'hui à l'adjectif être épicurien. Certes il y a toujours la notion de plaisir dans le sens de jouir de la vie aujourd'hui et maintenant. Les dieux s'ils existent ne se préoccupent pas des humains. Ceux ci font juste partie de la création en son ensemble.
Nulle vie après la mort. Tout est matière, le corps comme l'âme. Tout est constitué d'atomes ( vous avez bien lu déjà dans l'Antiquité) en mouvement qui s'entrechoquent au hasard, se séparent, se rencontrent à nouveau. Il n'y a que des atomes et le vide.
Telle fut en premier lieu « l'intuition géniale du poète philosophe, une célébration de la danse de la matière et un bréviaire d'athéisme qui allaient bouleversée le Moyen Âge finissant », puis les siècles à venir. Certains essaieront de rallier la pensée de Lucrèce au christianisme, d'autres la condamneront sur le fond, tout en louant la beauté du latin et de la forme.
Toujours est-il que la boîte de Pandore était ouverte, sans que Poggio ne se doute réellement des implications de l'événement au cours des siècles et sur le monde entier jusqu'à maintenant.
Un livre érudit, brillant, clair sur un sujet qui pourrait, mal traité, rebuter. De très belles heures avec ces hommes intelligents, géniaux, visionnaires sont le cadeau que vous offre ce magnifique ouvrage de Stephen Greenblatt. Considéré comme le spécialiste de Shakespeare, je vais très vite lire sa biographie du dramaturge, car pour le moment rien ne m'a satisfaite sur ce sujet.
J'ai ouvert les yeux bien grands sur beaucoup de choses et en premier lieu sur mon mode de fonctionnement induit ou inné. Incontournable !