Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Psychopompe
Amélie Nothomb
Albin Michel
Le 23 août 2023
162 pages
roman
Chronique
18 novembre 2024
Comme j'ai lu "Psychopompe" et "L'impossible retour" dans la même journée, ils sont aujourd'hui, à mes yeux, liés, indissociables. Le père y est omniprésent.
C'est amusant comme j'ai, depuis des années, joué l'évitement quant aux écrits de Amélie Nothomb. J'avais vu "Stupeur et tremblements" évidemment qui m'avait sidérée ; écouté "Soif" en version audio. L'air de ne pas y toucher, je tournais autour de cette écrivaine et son œuvre. Pourquoi cette valse hésitation ?
Une amie, dans le même état d'esprit que moi, l'a parfaitement formulé : nous savions être particulièrement touchées, concernées par la femme que nous écoutions attentivement pendant ses interviews, lors de ses déclarations à la télévision, et nous ne voulions en aucun cas briser l'image que nous nous en faisions. C'est exactement cela, et puis....
Et puis, il faut un jour sauter le pas : la porte une fois entrouverte, les mots, les phrases, les images créés par cette magicienne s'y engouffrent, la repoussent totalement. Déferlement d'émotions, regrets d'avoir attendu. Alors la reconnaissance de cette âme ancienne et sage devient événement intime, expérience profondément personnelle.
Ce que nous livre Amélie Nothomb, femme toujours enfant, bien heureusement pour nous, est d'une vérité absolue, au-delà des mots... Et pourtant, elle les trouve ces mots pour dire, décrire l'impensable, l'insupportable, la douleur, le gouffre, la solitude, la peur, l'émerveillement et j'espère, la joie retrouvée.
"Contre le vide, je n'avais que les oiseaux. À défaut de savoir comment apprendre d'eux, je me mis à les contempler encore davantage. Ce qui m'apparaissait comme le néant était pour eux le plus fabuleux des terrains de jeu. Là où il n'y avait rien, ils s'élançaient. Qu'est-ce que voler sinon s'adonner à l'ivresse du vide ? "
"Si profonde que fût mon absence, je n'avais pas pour autant abandonné le grec ancien. Au détour d'une version, j'appris qu'Hermès, le dieu messager aux pieds ailés, pouvait être qualifié de psychopompe. Le psychopompe était celui qui accompagnait les âmes des morts dans leur voyage. Ce nom formidable jouait également à l'adjectif : ainsi, dans l'iconographie chrétienne, il y avait l'oiseau psychopompe qui permettait d'illustrer le Saint-Esprit - la fameuse colombe qui rendait la Vierge enceinte de Jésus.
"Et si c'était moi ?" Pensai-je."
Comment rédiger un texte sur les sentiments d'exil, d'arrachement, d'abandon, de sidération ? Quelle métaphore, quelle image trouver pour raconter le gouffre, le vertige puis la remontée vers la surface ?
Amélie petite se voit oiseau, engoulevent, volatile qui toujours se joue des éléments, cherche perpétuellement la nourriture essentielle à sa survie, dont les ailes déployées sont autant de pages jetées au vent, qui vainc les tempêtes, plus fort que la Mort. Qui même accompagne les âmes vers son royaume...
Le décès du père est certainement un élément déclencheur à ce retour vers la petite enfance, avant le premier drame : celui du départ déchirant du Japon. Celui-ci est l'arrachement incompréhensible et essentiel qui teintera toute sa vie, (notre vie), d'une nuance sépia. Un fond de tristesse alors que cette âme forte s'affirme, crie, se révolte, se bat pour fuir les ténèbres jusqu'au deuxième drame...
Que de points communs ai-je trouvé avec mon histoire ? Troublant. Je devais pressentir ces similitudes d'où mes hésitations et mes reculs.
Les épreuves s'enchaînent tout au long du périple qui mène l'enfant vers l'âge adulte. Mais y parvenons-nous vraiment un jour à cet état d'adulte accompli, acté ? Ou sommes-nous scindés en deux, jouant pour la galerie ou nous-mêmes, une vaste comédie ? La bouée de sauvetage pour l'autrice est l'Écriture. Ces lignes sont donc également une profession de foi, une déclaration d'amour en cet art difficile, exigeant, essentiel, magnifique.