
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Pietra viva
Léonor de Récondo
Editions Points Grands Romans
6 janvier 2015
192 pages
Historique
Chronique
30 juillet 2023

« Sol d'una pietra viva
L'arte vuol che qui viva
Al par degli anni il volto di costei. »
« Dans une pierre vive
L'art veut que pour toujours
Y vive le visage de l'aimée. »
Michelangelo Buonarroti
Madrigal à Vittoria Colonna, ca. 1540-45
Dans le prolongement de la biographie très précise et factuelle de l'artiste par Nadine Sautel lu avant cet ouvrage, voici un roman biographique apportant le supplément d'âme et de chair à la compréhension d'un être complexe au premier abord rébarbatif.
À l'instar de ses sculptures, Michelangelo paraît froid, inapprochable, bien peu humain.
Léonor de Récondo en fait un personnage de roman et, ce faisant approche, me semble-t-il, de la vérité quant à l'origine des tourments de cet homme et de son incapacité à tisser des liens avec son entourage.
Il est, sur bien des aspects une énigme pour la postérité, ayant décidé de détruire la majorité de ses écrits avant de mourir très âgé.
L'auteure remplit les vides avec délicatesse, respect, allant au-delà des apparences, faisant œuvre d'une empathie extrasensible, nous offrant ainsi un portrait bouleversant du grand artiste devenu sous nos yeux un éternel enfant en deuil de sa mère.
Elle choisit comme contexte historique de cette fiction le moment où Michelangelo doit se rendre dans les carrières de Carrare afin de choisir les morceaux de marbre qui serviront à l'élaboration du tombeau du pape Jules Il. L'artiste ne le sait pas, mais cette commande le plongera en enfer sur plus de vingt ans. Avant de partir, la mort d'un jeune religieux, Andrea, qui le guidait jusqu'aux cadavres qu'il étudiait pour parfaire ses connaissances du corps humain, le bouleverse à un tel point que ce départ très loin de Rome ressemble à une fuite éperdue afin d'échapper à nouveau à la Grande Faucheuse. Celle-ci lui a déjà tant pris, cette ultime disparition bien énigmatique lui apparaît d'autant plus insurmontable.
La parenthèse que lui offre son séjour dans ce village peuplé de gens simples, durs à la tâche, ne peut que lui être bénéfique, mais la Mort là encore l'attend...
Les rencontres avec un enfant, Michele, et un homme-cheval, Cavallino, pourront-elles lui apporter la paix de l'esprit et du cœur ?
Les lettres en provenance de Rome lui apporteront elles l'explication à la disparition d'Andrea, si beau et si jeune ?
Et enfin, Michelangelo pourra-t-il se réconcilier avec lui-même, avec son passé ?
Une femme mystérieuse venue le visiter dans ses songes pourrait peut-être le réconforter et lui offrir les clefs de la porte ouvrant sur un avenir plus lumineux.
Roman magnifique, d'une grande poésie, ciselé avec amour, avec grâce.
"Imaginer, sculpter, créer afin que sa volonté se fasse sur la pierre."
Grâce aux mots, Léonor de Récondo fait émerger de l'obscurité le visage magnifié de cet être d'exception, de ce génie mal connu, de l'homme derrière la figure illustre.
La pierre devient chair... Le visage de l'aimée à jamais surgit...