
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Oublier nos promesses
Elsa Roch
Calmann-Lévy Noir
2018
345 pages
Thriller Polar
Chronique
16 juillet 2018

Deuxième tome après " »ce qui se dit la nuit » édité en 2017.
Prix Polar INFINIMENT QUIBERON 2018 et le Prix des lecteurs BLOODY FLEURY 2019. Prix Plume de bronze Du Thriller Francophone 2019. (Plume-Libre).
En premier lieu, un style, une écriture superbe, une vraie signature immédiatement reconnaissable, un texte magnifique pour une histoire désespérément belle et douloureuse.
« Sa gorge se noua. Il se leva sans savoir comment il y parvenait, en pilotage automatique, et parcourut l'appartement, à la recherche de traces de leur passé commun. Pas grand-chose. Deux photos sur le frigo, celles où ils s'embrassaient en riant. C'était le temps de l'insouciance, de la magie de la rencontre, celui où le réel n'avait pas encore effracté le rêve, celui où son job n'était pas devenu un problème. Un gouffre, pour elle, pour lui. Leurs deux mondes devaient rester hermétiquement clos, c'était compliqué, et pas uniquement parce qu'elle était journaliste, elle aurait été danseuses étoile que cela n'aurait rien changé. »
Simple, efficace, sans fioriture, avec le sens de la formule tout d'un coup, ou un mot étonnant qui éclate. Elsa Roch choisit de raconter sur quelques jours en août 2010, l'histoire d'hommes et de femmes tous en rupture, borderline, devant faire le deuil d'un amour, d'une relation, d'une vie perdue, d'un passé à oublier ou supporter. L'absence indicible est partout présente dans ce récit, l'absence de réciprocité des sentiments, l'absence d'écoute, l'absence des disparus.
C'est également un roman de guerre, intime contre ses propres limites, mais aussi en Afghanistan qui vous laisse en retour d'opex en puzzle, en SPT comme on dit, en apnée interminable, et enfin celle sur le terrain, dans Paris transfiguré, zone
de non droit, d'ultraviolence, de barbarie, de folie, où une vie ne vaut rien, mais où la chair a un prix. Trafic d'humains, prostitution nouvelle formule, asiatique et albanaise, la pire, celle qui n'a aucune limite dans l'abominable, où une gamine vierge dans ce cloaque immonde est un luxe.
Des irréductibles se battent pourtant remisant leur propre malheur dans une partie du cerveau pour agir contre le Mal, pour redonner à l'existence un sens ici, là-bas, dans le futur.
Le déclencheur sera Emma Laury, bien malgré elle, journaliste freelance au courage dangereux, ultralimite, animée d'une puissance de persuasion hors du commun, d'une énergie sans fin qui épuise ceux qui l'entourent, l'aiment. Car il y a ainsi des êtres d'exception, solaires, charismatiques sans le chercher, qui attirent tous les regards, qui emprisonnent tous les cœurs, qui forcent l'admiration. Un soleil qui va s'éteindre, monstrueusement. Seul un inhumain a pu perpétrer un tel crime, à la machette, s'acharnant sur le corps, les yeux, arrachant le fruit de l'amour d'Emma pour son beau militaire.
Sa mère l'a retrouvée au retour de sa garde à l'hôpital au petit matin, pour leur café rituel. Terminée, reléguée dans le coffre du salon comme un pantin désarticulé, le cœur maternel éclate après avoir donné l'alerte. On retrouve Marsac chef de groupe à la Crim du 36, Raimbauld le bras droit, le confident, Vincent Cassem le cœur d'artichaut , Grégoire Narci et Hervé Vigier les geeks, Hélène Weber la médecin légiste très fragilisée, et la dernière arrivée Lise Bruegguer qui doit encore faire ses preuves.
En parallèle, le fiancée de Emma, le militaire d'élite Jérôme Pieaud revenu des zones de guerre très éprouvé et traumatisé. Il se remet en mouvement en état second, aidé de son pote le Kid, un ancien militaire reconverti dans l'informatique. Un Tandem de choc qui compte bien prendre de vitesse le groupe des six policiers d'élite de la Crim. Je salue l'exactitude et la précision des informations quant au fonctionnement militaire et policier, la description des flashbacks hallucinatoires des scènes de guerre, l'empathie de l'auteure traduisant au mieux les affects de chacun.
J'insiste encore sur la beauté de l'écriture, le style très personnel et inventif ; ce thriller sombre répond à tous les codes d'un vrai Polar mais revisité et transcendé, la fin était pour moi évidente, mais là n'est pas l'essentiel. Je ne regarderai plus certains quartiers de Paris de la même façon après cette lecture. Les conflits lointains se jouent aujourd'hui sur notre territoire, ne nous leurrons pas. Un livre essentiel pour le réveil de nos inconsciences !