
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
On the Brinks
Sam Millar
Seuil
7 mars 2013
358 pages traduites par Patrick Raynal
Thriller et Biographie
Chronique
29 mai 2017

J’ai attendu patiemment d’avoir fini tous les livres de Sam Millar (deux romans et la série consacrée au détective Karl Kane dont j’attends la suite), avant de découvrir sa biographie. Je voulais me plonger dans ses thrillers sans aucune connaissance de la réalité, je ne voulais pas chercher dans ses fictions des traces d’événements ou faits réels, pour profiter de leur virtualité.
Cependant aujourd’hui au lendemain de cette lecture, j’analyse et retrouve de mémoire des détails ou des décors des drames directement issus de cette autobiographie. L’enfance, le premier job, l’emprisonnement, les odeurs et sensations.
Tout affleure dans une écriture et un style crus, organiques, orduriers parfois, ou tendre, profondément humanistes, avec toujours cet humour pour ne pas pleurer, ce sourire triste, et l’honneur de se tenir droit.
La première partie relate les huit ans en section H à la prison de Long Kesh en Irlande du Nord de Samuel, très jeune homme, après une enfance loin d’être idyllique, engagé dans la lutte avec l’IRA, et arrêté pour une broutille. A son entrée il refuse de porter l’uniforme de la geôle, et se retrouve donc nu avec juste une couverture pour se protéger, un blanketman. Ils sont plusieurs à s’engager dans cette protestation, devant subir le froid, l’absence d’hygiène, les tortures, le tabassage en règle, l’avilissement, la déshumanisation. Mais ils tiennent, les belfastois sont têtus, tenaces, forts surtout quand ils se battent pour leur cause, et leur libération. D’autres dans des quartiers différents de la prison feront la grève de la faim.
Comment survivre à cela, comment fait-on ensuite pour sortir de cet enfer et ne pas replonger dans la haine ? Un texte de Nelson Mandela ouvre un des chapitres, lui aussi considéré par le gouvernement d’Afrique du Sud comme un terroriste.
Tous les pays colonialistes ont eu cette attitude, et les méthodes de répression ont toujours été tristement les mêmes. Des crimes contre l’humanité ni plus ni moins, perpétrés par des sadiques, mais aussi des gens normaux qui se cachent derrière l’obéissance aux ordres, comme les nazis, comme d’autres de tous temps. Comment ensuite accorder le pardon ? A mes yeux c’est impossible lorsque les bourreaux n’ont pas fait œuvre d’expiation. Et même pouvons-nous vraiment pardonner ?
Une chose est sûre, de mon point de vue, on peut en tout cas chasser la haine de son cœur et de son esprit, on peut rendre moralement à ceux qui ont fait le mal leurs actes car ils leurs appartiennent, et construire sa vie ensuite sur la création, le beau, le bien, on peut sauver son âme et ne pas tomber dans l’obscurité. Ce n’est pas une vision catholique, « Dieu m’en garde », l’Eglise étant ici encore coupable de lâcheté et de participations aux crimes en Irlande du Nord, c’est une évidence vécue en ce qui me concerne ; c'est la seule issue pour continuer à vivre, avec les flashs et quelque fois la fureur qui remonte. Une rédemption pour soi, peut-être pour les coupables enfin conscients de leurs actes terribles. On n’en sort pas indemne de cette première partie, même si toujours l’humour et la camaraderie illuminent le texte.
La deuxième partie se passe pour Samuel et sa famille (mention spéciale à sa femme Bernadette d’un courage et d’un contrôle incroyables) à New York dans le Queens. Avec ce passé politique, la seule solution est d’utiliser une fausse identité et de travailler dans l’illégalité. Dans les casinos clandestins, puis comme pour tenter encore le diable après être réchappé de l’enfer, on organise le casse improbable d’un dépôt de la Brinks, on vole plus de 7 millions de dollars à l’état, à deux braqueurs et comme dans un jeu d’indiens et de cowboys avec des armes factices. Grotesque, ubuesque, mais ça marche !
Totalement incroyable, cet opéra bouffe où chacun, FBI sur les dents, procureur, presse, avocats et même Sam faussement naïf et ses partenaires, jouent leurs rôles dans cette pièce tragi-comique jusqu’à la caricature quelque fois et au ridicule. L’argent n’est toujours pas retrouvé à ce jour.
On dirait un film avec Steeve McQueen ou Pierce Brosnan. Drôle, caustique, irrévérencieux, on souhaite vraiment que la période américaine a apporté la paix à Sam Millar et les siens. Nous, en avons-nous le meilleur grâce aux thrillers. Evidemment je vous conseille ce livre, s’y plonger sans sens moral strict, SVP, faire la part des choses entre les vrais crimes des forces de l’ordre en Irlande et les délits d’un homme encore à la limite, déboussolé à son arrivée aux USA. D’ailleurs le titre On the Brinks fait évidemment référence à la société Brinks, mais traduit cela signifie aussi : à la limite, au bord de. Samuel jeune homme et adulte a testé les limites, maintenant sa vie a pris un autre tournant. Incroyable que ce livre vérité ait pu être imprimé ! Sacré courage des éditeurs !