
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Nous tous sommes innocents
Cathy Jurado
Aux Forges de Vulcain
Le 16 mai 2025
208 pages
historique
Chronique
26 juin 2025

" Soudain il découvre ceci que demain sera semblable, et après-demain, tous les autres jours. Et cette irrémédiable découverte l'écrase. Ce sont de pareilles idées qui vous font mourir. Pour ne pouvoir les supporter, on se tue - ou, si l'on est jeune, on en fait des phrases. "
Albert Camus, " L'Ironie ", L'Envers et l'Endroit
Première édition en 2015
Comment décrire le désespoir qui tel un venin a peu a peu empoisonné l'âme de Jeannot ?
Jeannot qui aimait tant les mots, qui voulait tellement partir loin pour étudier et devenir instituteur. Lui qui voulait repousser les limites de l'horizon, s'enfuir vers un avenir empli de possibles, de rencontres, de lumière, d'espoir.
Mais le destin ou Dieu ou le diable en a décidé autrement. Dès sa conception, les dés sont jetés. Né dans une famille toxique, dysfonctionnelle, lovée sur ses noirs secrets, ses hontes, ses crimes. Ce n'est pas une famille mais un clan de hyènes.
Il ne le sait pas le Jeannot, mais il va apprendre pour son plus grand malheur certaines vérités. Trop dures à encaisser, comme tout le reste : l'absence de tendresse, la ferme comme un piège qui se referme sur lui, sa sœur Claude, innocente victime dont il se sent responsable, sacrifiée sur l'autel de la concupiscence, sa mère au double visage, son père violent et taiseux, son autre sœur, la harpie.
Il a beau crier, personne ne l'entend.
Il se fracture peu à peu et se perd dans une folie plus supportable que la réalité.
Le village voit, sait, se tait, coupable. Peut-être que l'amour d'Odette pourrait le sauver mais...
Peut-être que partir au service militaire pourrait lui permettre de s'échapper mais...
Comme dans une tragédie grecque, hors du temps, le sort de Jeannot est inéluctable, écrit bien avant sa naissance.
Mais il reste un acte de liberté totale à poser :
Graver enfin ses mots, ses pensées, que nul n'a voulu écouter, avec la force de celui qui ne peut plus crier, dans les lames du plancher de sa chambre, avant de s'écrouler, de s'abandonner, de ne plus lutter.
" Le plancher de Jeannot est une œuvre d'art brut - nommée comme telle par toute une communauté d'historiens de l'art, de psychiatres et d'artistes - réalisée par Jean Crampilh-Broucaret (1939-1972). Ce texte, gravé en 1972 sur le plancher de la ferme familiale dans un village du Vic-Bilh (Béarn), et découvert en 1994 par le psychiatre passionné d'art brut Guy Roux, appartient aujourd'hui à la collection du musée d'Art et d'Histoire de l'hôpital Sainte-Anne à Paris. "
L'autrice s'est inspiré de cette tragédie intime pour écrire l'histoire de la chute psychologique de Jeannot. Roman crève cœur touchant à notre part d'ombre, élargissant la ligne de faille présente en chacun de nous. La limite est si ténue entre la folie et la normalité.
Texte hommage à tous ces artistes inclassables, en marge de la société trouvant la force de s'exprimer par l'art, chaque geste de leurs mains étant autant de battements d'ailes d'oiseaux cherchant à s'échapper de leur cage.
