
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Notre royaume n'est pas de ce monde
Jennifer Richard
Albin Michel
17 août 2022
736 pages
Historique
Chronique
28 septembre 2022

Extrait p. 651 :
« Avez-vous vraiment cru que nous pourrions l'éviter ? Demande Ota Benga à Rosa Luxemburg qui pleure.
- Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage dit Jaurès.
- Ce que j'ai cru, Mr Benga, répond Rosa Luxemburg, c'est que nous, les socialistes de tous les pays, nous voulions l'éviter. Nous nous étions juré de tout faire pour empêcher la guerre dans nos pays respectifs. »[....]
« Le militarisme est un instrument entre les mains des classes dominantes, clame-t-elle. La guerre est une façon de gouverner, comme l'état d'urgence. Les ouvriers commettraient un crime en participant à la guerre, en tirant les uns sur les autres pour le profit des capitalistes ou l'orgueil des dynasties, pour la combinaison de traités secrets, pour le partage des terres d'Afrique. Si on attend de nous que nous brandissions les armes contre nos frères de France et d'ailleurs, alors nous nous écrierons : « Nous ne le ferons pas ! » [...]
"Voulez-vous que je vous dise la différence entre la classe ouvrière et la classe bourgeoise ? Avez-vous demandé. C'est que la classe ouvrière hait la guerre collectivement, mais ne la craint pas individuellement, tandis que les capitalistes, collectivement célèbrent la guerre, mais la craignent individuellement. »
L'élégance, la rigueur, la justesse et l'humanité profonde de l'autrice de ce récit apportent un supplément d'âme à cette suite fabuleuse à l'opus précédent : « Il est à toi ce beau pays ».
Roman époustouflant, magistral, somptueux, splendide, dense, prodigieux, érudit, drôle puis soudain crève-cœur, tout est là pour vous transporter en une autre dimension où votre conscience et votre connaissance des évènements et des hommes seront décuplées afin de contempler, en fin de texte, de vos yeux ébahis et admiratifs, la fresque historique en sa totalité. Elle vous est offerte très généreusement par Jennifer Richard, fruit de son talent certain, de sa finesse d'exécution, de son engagement à informer et dénoncer sans crier, sans violence mais avec force, implacabilité, et conviction, les crimes qui furent et sont perpétrés au nom de l'impérialisme tout puissant. Rien n'est asséné, imposé, tout nous est présenté dans le respect de notre capacité de jugement, d'analyse.
Sur cette toile gigantesque, on verrait le colonialisme et l'impérialisme, main dans la main face à leurs victimes triomphantes menées par Ota Benga, le pygmée.
Soyez donc les bienvenus dans un espace parallèle, le buffet est ouvert, vos places vous sont réservées, votre hôte ne saurait tarder.
Relisez bien le carton d'invitation :
Ota Benga Pygmée
Vous convie à la réunion de l'amicale des insurgés, salle 104.
Au programme :
Narration d'une histoire commune (1896-1916), échanges d'idées et de souvenirs (1800-2022), buffet garni et rafraîchissements (intemporels).
Venez en paix
La liste des invités donne le tournis : certains ne sont pas des enfants de « cœur », d'autres sont des justes, des héros, des martyrs, tous ont en commun d'avoir été les cibles d'un même ogre insatiable, se cachant sous divers costumes, sous différents noms : L'IMPÉRIALISME. Et pour le servir que de dictateurs, d'esclavagistes, de rois, de grandes fortunes, de bourreaux et autres sbires ! Ils sont légion à répandre ce virus qui ne restera pas circonscrit au Congo belge mais recouvrira la terre entière, ne laissant derrière lui que dévastation, souffrance, laideur.
Mais telle la Nature, la vérité, la droiture reprennent toujours leur droit même au delà de la mort... Les criminels et assassins aux mains sanglantes à l'abri de leurs demeures luxueuses de par le monde ne pourront jamais étrangler les voix des suppliciés qui toujours reviennent chuchoter aux oreilles, des disparus qui malicieusement réapparaissent sous la forme d'une simple dent, symbole du corps entier d'un résistant, d'un combattant de la justice, d'un libérateur, d'un Mensch.
J'ai été bluffée encore une fois, bouleversée et révoltée toujours, et finalement j'ai repris ma place dans la ronde immense formée par les humains, ronde protectrice autour de notre planète afin d'en célébrer sa beauté complexe sous un ciel qui peu à peu s'assombrit de par la volonté de fous furieux adeptes d'un nouvel ordre mondial, d'un enrichissement sans fin, pour l'illusion d'un pouvoir qui n'est que celui de la destruction et de l'apocalypse. Les meurtriers ne changent pas mais nous, face à eux, le devons en hommage à tous ceux qui nous ont précédé dans la lutte contre les ténèbres.
Mais voici que s'approche Ota Benga, la lumière reprend ses droits. Ouvrez ce roman et plongez.
PS: réponse à la dédicace de Jennifer Richard : entre Che Guevara et Patrice Lumumba, je pense tout de même être plus proche du second bien que définitivement mon cœur soit à Jaurès. Je suis particulièrement séduite par Pierre Sarvognan de Brazza.