" La viande vivait sur la viande, la vie sur la vie. 

Il y avait les mangeurs et les mangés. 

La loi était MANGE ou SOIT MANGÉ." 

Jack London, Croc-Blanc 

Extrait d'une beauté terrible 

"Des visages de papier glacé. Parmi ceux-ci, des Amérindiennes qui, un jour, n'avaient plus donné signe de vie. Disparues, sans doute, sans qu'aucun dossier judiciaire ait été ouvert, malgré les alertes des proches ou des gens qui, comme Morgane, étaient convaincus que quelque chose se tramait. Des victimes de l'indifférence, du laxisme des institutions, des failles d'un système. C'était ça, qui était en train d'émerger à travers tout le Canada. Des tueurs en série dont on découvrait soudain l'existence. Des cadavres d'autochtones vieux de dizaines d'années qu'on retrouvait au fond des grandes rivières de l'Ontario et que personne n'avait jamais recherchés. Des femmes violées dans les réserves québécoises qui osaient enfin témoigner. Des Angelune. Des Léonie. Des Maya. 

Les monstres étaient partout, même dans les coins les plus reculés. Le Mal n'avait pas de frontières, pas de hiérarchie, il frappait tout le monde, il habitait tout le monde. "

Des voix résonnent à l'unisson, celles du passé rejoignant celles d'aujourd'hui en un fleuve grondant, balayant tout sur son passage. Ce phénomène, cette révolution sociétale, ce bas les masques canadien fait écho aux différents mouvements, de par le monde, dénonçant les violences faites hier et maintenant aux femmes. 

En littérature, plusieurs auteurs de talent nous offrent ainsi des ouvrages foudroyants, incontournables et inoubliables concernant les Amérindiens et la façon dont ils furent traités au cours des siècles : je citerais en littérature française, Franck Bouysse avec les deux tomes de "La Marche du rêveur", Michel Moutot avec "Les filles du ciel", Lilian Bathelot avec "Geronimo et moi"...  

Voici donc "Norferville" de Franck Thilliez, l'enfer sur terre dans le grand Nord canadien, ville minière d'extraction du fer, ville tombeau pour tout un peuple d'autochtones méprisés, rabaissés, tués à la tâche ou par l'alcool et la drogue. Un no man's land où, si ce n'est le froid qui vous aura, ce sera le plus grand prédateur de cette planète, cruel et méprisant : l'homme blanc. 

Si vous êtes une femme, tout est encore plus difficile, voire impossible. Rêver d'un avenir est inutile, votre destin est de subir, de vous taire, d'être des proies. 

Bâtissant avec soin tout son scénario sur des faits et événements réels, l'auteur raconte l'histoire de certaines d'entre elles ; ce faisant, il dénonce un phénomène canadien, québécois, qui malheureusement est mondial. 

Tout débute par l'indicible, le viol de deux jeunes filles, Maya et Léonie, cette dernière à moitié blanche, par trois inconnus. Chuchotements avant de partir à l'oreille de la métisse : "sauvagesses" ! Ce mot va résonner en elle pendant près de vingt ans, allant crescendo, jusqu'à devenir un cri de fureur.

Devenue flic, partie depuis bien longtemps à la capitale, le corps retrouvé d'une jeune femme suppliciée,  Morgane Schaffran, l'oblige à revenir dans cet endroit maudit, à se retrouver face à ceux qui l'ont méprisée dans sa jeunesse, entre autres le policier Liotta, maître incontesté de Norferville avec ses petits copains de toujours. Sauf que la donne a changé, Léonie Rock est aujourd'hui sa supérieure hiérarchique et dirige l'enquête. 

Un bras de fer commence alors qu'une tempête s'annonce aggravée par l'arrivée du père français de la victime, Teddy Schaffran, détective à Lyon, un profiler respecté et collaborant avec les autorités d'outre-atlantique. 

Après l'effroi, la douleur, le père laisse place à l'enquêteur, le chasseur de tueurs et criminels. 

Léonie et Teddy vont faire équipe face à des ennemis puissants les guettant avec délectation comme des prédateurs espérant l'hallali. L'assassinat de Morgane n'est que le haut de l'iceberg. En pleine campagne électorale, alors que l'ouverture d'une nouvelle mine menace l'écosystème, que certains autochtones s'opposent fermement à la destruction de leur terre, de la faune et la flore de cette région d'exception, la course-poursuite d'un serial-killer risque de mettre le feu aux poudres et de tout faire exploser. 

Auteur respecté, incontournable, Franck Thilliez nous offre avec ce dernier opus un très grand thriller, de ceux inspirés par les grandes causes et la nécessité de crier une vérité insoutenable, une vérité malheureusement atemporelle et universelle. 

À lire évidemment ! Gratitude !