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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Moi, Chevalier d'Éon, espionne du roi

Catherine Hermary Vieille

Albin Michel

2018

341 pages

Historique

Chronique

25 janvier 2019

Je vois déjà l'ombre de votre sourire à la vue de cette couverture et de ce titre. La réputation de ce personnage a traversé les siècles, la moquerie, la satyre restent d'actualité. Oubliez !


Ce roman biographie, historique, est d'une violence inouïe, une véritable gifle émotionnelle, une révolution de notre positionnement quant aux questions épineuses du genre, de la sexualité... Quel livre !


« Pourquoi Dieu me damnerait-il puisqu'il m'avait créé tel que j'étais ? Je n'étais pas lesbienne ni sodomite, juste un être humain avec un coeur, des sentiments, des émotions et des rêves.

Mais Platon n'avait-il pas écrit :

« Car le corps nous cause mille difficultés. Il nous remplit d'amours, de désirs, de chimères de toutes sortes, d'innombrables sottises si bien qu'il nous ôte vraiment et réellement toute possibilité de penser ? »

« Mon corps de demi-homme, demi-femme, laissait libre mon intelligence et cette pensée me consolait. »


Je dirais en premier lieu que ce fut un réel plaisir gustatif de lire à haute voix un texte si beau, dont la musique, l'harmonie, me permirent également de traverser les moments les plus insupportables de cruauté de la vie de cet être. Quelle ne fut pas parfois ma fureur ! Je suis reconnaissante à l'auteure, pour évidemment son exigence rédactionnelle, de véracité historique, son sens du détail tout en ne perdant pas de vue son plan d'action, sa démonstration. D'une rare finesse quant à l'analyse psychologique d'un individu à part, qui cependant de par sa différence, nous amène à réfléchir plus universellement à des questions qui depuis des millénaires sont au centre de la vie de tous.


Qui sommes-nous ? Quelle est notre essence, notre être véritable en dehors de toutes considérations somme toute secondaires du genre, de la race, de la religion, de la famille, du métier... Qui suis-je ? Une existence entière pour répondre à cette énigme. Être et non plus paraître. Revenir à la genèse, à la première étincelle.


Avec énormément de bienveillance, dont même Charles Geneviève Louis Auguste André Timothée d'Éon, né garçon en 1728, est incapable de faire preuve envers lui-même, Catherine Hermary Vieille fait oeuvre d'une empathie, d'un respect, d'une immense intelligence. Elle n'use d'aucune classification, d'aucun formatage, allant jusqu'à employer autant le "il" que le "elle" pour ce personnage en réalité neutre.


Mâle avec tout les attributs de la virilité éduqué par un père d'une rare sévérité et rudesse, ne lui laissant aucune liberté, il apprend les jeux d'un petit gars, à manier l'épée, à monter à cheval, à faire preuve d'un immense courage. Mais il aime aussi, en secret jouer à la poupée avec sa soeur, la coiffer, la parer, il aime le monde de la féminité, il est féminin.


Il pressent les avantages et inconvénients des deux sexes, il est des deux, il est totalement unique. Il ne ressent aucun désir sexuel.... il pense même à la prêtrise lors de ses études à Paris au collège des quatre nations. C'est ainsi. Il trouve la joie, une raison de vivre dans l'étude, c'est un boulimique du savoir, de la connaissance, un intellectuel, un érudit ; il s'aime en bretteur fabuleux, en dragon du roi téméraire récompensé de la médaille de Saint Louis pour sa bravoure, il s'épanouit dans l'amitié virile et brute de décoffrage avec ses compagnons, amis, hommes sous ses ordres. De même, il apprécie les tenues féminines, ce statut qui enfin lui permet de baisser les armes, d'être dans la douceur, le raffinement de la pensée et des actes.


On évite donc l'erreur de vouloir le cataloguer, il est tout et il en souffre suffisamment. Compliqué d'être un être asexué, chaste, dans une société où l'indiscrétion est de mise, où le jugement et la satire sont élevés au niveau d'un art cruel. On pourrait penser qu'en un siècle où les hommes se poudraient, se maquillaient, se perruquaient, s'enrubannaient, on ferait preuve de plus de tolérance. Le fait qu'il refuse de répondre aux questions sur son genre, son possible hermaphrodisme, ses préférences sexuelles, ne fait qu'attiser la curiosité malsaine de certains, la haine incontrôlable. Il met un point d'honneur à rester silencieux.


C'est un bal masqué en présence de Louis XV qui changera toute sa vie. Le trouble du monarque que l'on sait amateur de belles femmes, face à cette charmante jeune fille, scellera son destin. Il donne tellement bien le change que Louis, maître en duplicité, mentant et trompant tout son entourage, de sa femme, ses maîtresses à ses ministres, voit en CharlesGeneviève une arme fantastique pour le "Secret", organisation parallèle créée par le roi afin de mener une politique invisible aux yeux, usant d'espion, d'agents en France comme à l'étranger. C'est décidé, le jeune homme partira pour Saint Petersbourg afin de sonder les intentions de la Tsarine Elisabeth. Lia de Beaumont fait son entrée dans le monde, au service de l'État et du Roi.... Pensez ! Enfin pour la défense des intérêts de son beau royaume de France, il peut enfin devenir Femme....


« Que pourrais-je vous dire ? Que je fus plus heureux durant les 49 années où je vécus en homme que pendant les 30 où je fus femme ? Quarante-neuf années où il me semblait subir un état qui n'était pas le mien et trente à prendre conscience des exorbitants privilèges accordés aux mâles, même si le bonheur d'être enfin moi-même l'emportait sur les sacrifices qu'il fallait consentir. »


Et pourtant lorsqu'à plus de cinquante ans, Louis XVI et ses conseillers l'obligent à porter la robe s'il souhaite revenir en France après quinze ans passés à Londres au service de feu le roi Louis XV, il tempête, il refuse, il veut choisir.

Décidément ces monarques jouent avec son destin. Une magnifique scène avec sa mère très âgée, faisant preuve d'un amour merveilleux pour son fils dont elle est si fière, dont elle accepte la nature, vous attend. Ce qu'elle lui dit alors, de lâcher prise, de retrouver son sens de l'humour, d'accepter de jouer cette comédie en fin diplomate qu'il a toujours été est remarquable d'intelligence. Une sacrée leçon, une belle philosophie.... Presqu'orientale !

L'ambiguïté n'est-elle pas plutôt dans cet encodage imposé aux humains par notre société occidentale ? Bouleversant, essentiel, contemporain. À lire absolument !

Quatrième de couverture

Le chevalier d'Éon : un nom familier qui a pourtant conservé tout son mystère. Diplomate, officier, redoutable bretteur, cavalier hors pair ou femme séduisante, intrigante, habile, émissaire clandestine du roi Louis XV ? Un homme désirant être femme, une femme virile, un travesti ?
L'énigme du chevalier d'Éon demeure et fascine toujours autant. Être d'exception incapable de se glisser dans le monde figé des codes sociaux et sexuels de son époque, jamais il ne renoncera à être lui-même.
Avec la rigueur historique et la sensualité d'une grande romancière, Catherine Hermary Vieille fait revivre la figure ambiguë et controversée du plus célèbre agent secret de l'Histoire.

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