
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Moderato cantabile
Marguerite Duras
Editions des Femmes Antoinette Fouque Bibliothèque des voix
Janvier 2021
2 h 26, lu par Fanny Ardant
Roman
Chronique
25 janvier 2021

Dépouillement du récit réduit à une trame extrêmement simple avec un minimum d'effets, construction formelle rigoureuse, le tout au service de l'émotion exprimée en filigrane, comme si tout était voilé, comme le grain de la voix choisie pour magnifier ce texte.
Moderato cantabile, Éditions de Minuit, 1958
Musique : Anton Diabelli - Sonatine en fa majeur, OP. 168, n°1 : 1. Moderato cantabile (1839).
L'indication musicale « moderato cantabile » qui donne son titre à cette oeuvre pourrait également concerner le rythme de ce récit modéré et chantant. Pas de rapidité d'exécution ou de décision brusque pour la mère du jeune pianiste, Anne Desbaresdes, une fois qu'elle est entrée dans le bar où s'est produit le crime passionnel, pas de "appassionato" non plus lorsqu'elle rencontre Chauvin, un ancien employé de son mari, Directeur d'Import Export et des Fonderies de la Côte. Elle souhaite comprendre le geste de l'homme ayant assassiné sa maîtresse à sa demande semble-il. Elle est fascinée, elle dont la vie de bourgeoise est si bien réglée et monotone, juste ponctuée par les cours une fois par semaine de son fils, qui ne sera jamais nommé, avec le professeur de piano mademoiselle Giraud , tout d'un coup, Anne éprouve le besoin de se rendre tous les jours au café pour parler de ce fait divers avec un inconnu tout en buvant de plus en plus. l'enfant se retrouve à jouer seul,, heureux sur le quai devant le bar pendant qu'irrésistiblement Anne vient à se dévoiler, à raconter sa vie oisive, ennuyeuse à Chauvin. Elle "chante" pour lui mais il semble déjà savoir tout de l'existence de la jeune femme, de sa maison. Nous commençons à nous inquiéter pour cette imprudente qui se grise de plus en plus de vin, qui en vient à oublier même la présence de son fils dehors, qui en dit trop à cet inconnu ; celui-ci est-il dangereux, en veut-il à son ancien patron ? on a l'impression qu'il a épié le couple et surtout Anne, de l'extérieur de leur villa. Elle va peu à peu perdre pied jusqu'à une réception organisée chez elle où elle arrive en retard et ivre. était-ce le but rechercher par Chauvin ? La déséquilibrer ?
Un roman court d'une centaine de pages qui pourtant dans ce condensé comprend tout un drame, de la leçon de piano pendant laquelle le cri de la femme assassinée retentit, en passant par les nombreux rendez-vous de Anne et Chauvin puis le dîner raté, jusqu'enfin au dernier entretien entre les deux protagonistes principaux, sans la présence de l'enfant, se clôturant par un baiser rapide.
Huit chapitres pendant lesquels rien ne sera élucidé, rien ne sera véritablement dit mais seulement suggéré, ou tout restera en suspend entre ennui profond et possibilité de tout bousculer. La mort violente de cette amante par son amoureux pourrait être un déclencheur pour Anne, mais ce n'est pas le cas, elle reste dans ce monde de tiédeur et d'inaction. On souhaiterait presque que Chauvin soit plus dangereux, plus violent ...
La voix et le phrasé si particulier et reconnaissable de Fanny Ardant apporte le trouble et la sensation de danger, presque de malaise à cet opus considéré comme une des oeuvres les plus significatives de ce que l'on a appelé le Nouveau Roman : scénario minimaliste, banalité des scènes créant toutefois une atmosphère anxiogène, insécure, où le désir se manifeste dans le vide finalement.
« D'où vient qu'étant court ce récit nous retienne longuement ? (Non qu'il nous donne l'impression de n'en plus finir : c'est nous qui n'en finissons pas avec lui.) D'où que, se tenant semblait-il à la superficie des êtres, il nous paraisse aller si profond ? » Claude Mauriac dans le Figaro du 12 mars 1958.
Pour lui, l'exclusion est le thème de Moderato cantabile où le dialogue ne menait à rien, « sinon à nous rendre sensibles notre propre solitude et notre inanité. »
Ce roman sera adapté par Marguerite Duras, en collaboration avec Gérard Jarlot pour les dialogues, en 1960 pour le film du même nom de Peter Brook, avec Jeanne Moreau (Prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes de 1960) et Jean-Paul Belmondo. un film considéré comme représentatif de la Nouvelle Vague cinématographique comme le livre de Marguerite Duras le fut du Nouveau Roman en littérature.
On se laisse hypnotiser par cette voix chantante comme griffée par la vie, par ce tempo moderato ma non troppo.... Une très belle réalisation à nouveau des Editions des femmes Antoinette Fouque.