
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Miss Julia Flisch - L'aube du féminisme
Christian W.Flisch
Métropolis Genève collection FEMMES
6 mai 2021
192 pages
Biographie
Chronique
7 mai 2021

Un ouvrage édifiant en hommage à une figure incontournable du XIX ème et XX ème siècles totalement oubliée par l'Histoire des Etats Unis, de la Géorgie, omettant aussi sa contribution inégalable à la cause féminine, dont les effets se font encore sentir aujourd'hui.
« Plus personne aujourd'hui ne connaît Julia Flisch. Elle a pourtant joué un rôle décisif auprès de ses contemporains qui l'ont encensée de son vivant et encore des années après sa mort. Sa vie et son oeuvre méritent d'être connues, d'autant qu'elles donnent un éclairage passionnant sur un moment charnière de l'histoire américaine, et ce, à travers les yeux d'une femme qui s'est battue pour ses droits et qui s'est engagée dans la cause féminine. Par ses écrits, (poèmes, nouvelles, romans, essais), mais aussi par son travail de journaliste puis de personnalité publique, elle nous donne accès à ce qu'était le quotidien dans les États du Sud et plus particulièrement en Géorgie au tournant du XIX ème et XX ème siècles. Née le 31 janvier 1861, à l'aube de la guerre de Sécession, et morte le 11 mars 1941, Julia Flisch incarne parfaitement la " new woman" du Sud.»
Julia Anna Flisch, jeune fille dotée d'une grande intelligence et d'une maturité extraordinaire, d'une finesse d'analyse étonnante de ce qui se déroule autour d'elle, capable d'émettre des jugements mais aussi d'apporter des solutions, créa l'événement dès ses premiers pas publics, par le biais d'une lettre, ou plutôt d'un cri de guerre et d'indignation, envoyée à l'Augusta Chronicle : édité, ce texte provoqua de nombreuses réactions. Intitulé " Give the Girls a Chance" , nous y lisons son appel révolté et, plein d'espoir en la justice, aux autorités de l'État de Géorgie afin d'obtenir que les femmes soient émancipées, puissent poursuivre des études supérieures, (ce qui lui fut refusé et resta un souvenir pénible), et évidemment puissent obtenir des postes correctement rémunérés. En étant dépendantes des hommes, elles ne sont pas aussi utiles qu'elles le devraient à la société.
L'éducation est au centre des luttes de Julia Flisch, infatigable, entêtée, tenace, jusqu'au-boutiste, ne mâchant pas ses mots dans ses articles et essais.
Les femmes sont brimées par les lois en vigueur dans les États du Sud et cela ne peut être plus longtemps accepté pour le bien et le développement de toute ce monde sudiste très conservateur jusqu'à parfois l'obscurantisme. Face au Nord industrieux, novateur, il est grand temps que le Sud de réveille enfin et prenne sa place dans l'évolution fabuleuse et moderne du pays tout entier.
L'éducation, donc, mais également le droit de vote, (obtenu en 1920), et l'engagement en politique, sont les trois points fondamentaux de l'action de Julia Flisch jusqu'à sa mort.
Bluffante de par son énergie, sa clairvoyance, son érudition, restée célibataire, comme nombre de ses consœurs féministes, son attitude face aux hommes ou le mariage n'est pas celle d'une amazone. En effet, sa vision de la famille et du couple est tout à fait moderne pour l'époque, pensant qu'une épouse peut aussi travailler et s'épanouir dans une carrière à la satisfaction de son mari et de ses enfants.
Ses engagements sont soutenus et applaudis par des personnalités masculines d'importance et ceci dès cette première lettre à l'Augusta Chronicle puisqu'elle est, lors de sa diffusion, précédée d'un éditorial très enthousiaste : " What Shall Young Woman Do?". Cette admiration de ses contemporains pour les travaux, les déclarations, les engagements de cette journaliste, historienne, romancière, essayiste, nouvelliste, enseignante et même à nouveau à 48 ans étudiante, ne peut que nous conquérir également. On mesure le courage de cette guerrière infatigable, de cette professeure bienveillante, protectrice de ses étudiant(e) allant jusqu'à les aider financièrement en plus de leur dispenser un enseignement éclairé de premier ordre.
Cet ouvrage comprend donc la biographie par Christian W. Flisch de son aïeule, mais aussi la nouvelle « Sur les sables de Roxbury « , le reportage « La traversée de l'océan », traduits tous deux par M. Blum. Puis vous découvrirez la liste exhaustive de ses œuvres publiées ou non faute d'éditeurs téméraires :
Publiés : 6 nouvelles, deux romans, six essais historiques, une critique, 75 articles de presse et reportages.
Non publiés manuscrits ou tapuscrits : 19 poèmes, 45 romans et nouvelles, 9 essais historiques.
En plus de ces interventions publiques, de ses cours dispensés à la Georgia Normal & Industrial College (GN&IC) ayant oeuvré à sa création en 1890, l'obtention du premier diplôme honoris causa décerné à une femme par l'Université de Géorgie en 1899, le master en histoire obtenu de l'Université de Wisconsin en 1908 à 57 ans, son retour à Augusta pour enseigner l'Histoire à la Tubman High School for Girls, elle devient secrétaire en 1916 de L'Equal Suffrage Party of Georgia.
Grâce à cette lutte au long cours, enfin, le XIX ème amendement accorde le droit de vote aux femmes le 26 août 1920.
Sa carrière sera encore longue et plus ardue, jusqu'à ses 75 ans où elle se retira en raison de sa cécité : entre son poste de présidente de l'Augusta League of Women Voters, son soutien au candidat démocrate William McAdoo partisan de l'égalité hommes-femmes, la parution de son deuxième roman en 1925 Old Hurricane, ( Ashes of Hopes fut édité en 1886), et enfin sa charge de Responsable du département d'Histoire du nouveau Junior College of Augusta, elle n'a jamais arrêté d'être active et de tenter d'améliorer la société.
Ses héroïnes fortes, déterminées, transgressives dans leurs aspirations, leurs comportements, d'une grande modernité, sont des reflets de Julia Flisch. Celle-ci n'a pas eu le succès éditorial mérité en tant que romancière et nouvelliste malgré l'accueil positif de la critique. Non seulement elle campait des femmes puissantes et indépendantes mais elle leur réservait une fin heureuse. Si seulement elles étaient devenues des victimes du destin, que l'on pourrait plaindre, ainsi plus en adéquation avec la supposée fragilité des femmes ! Mais non ! Pas avec Julia Flisch. C'est un peu trop novateur et libertaire pour le public d'alors et cette société corsetée qui a tant de mal à se libérer de certaines traditions passéistes et inégalitaires, d'où le refus de différentes maisons d'édition, frileuses, de l'ajouter à leur catalogue.
Je rêverais d'une biographie romancée ou d'un bioptic de cette femme extraordinaire et inspirante afin de lui donner chair, de la rendre encore plus proche.
Cependant, les nombreuses photographies et illustrations jalonnant cet ouvrage devraient vous permettre de visualiser Julia Flisch dans les décors de sa vie...
La bibliographie précise des documents utilisés pour la rédaction de ce livre peut également vous donner un éclairage supplémentaire.
En 1994 Julia Flisch fut inscrite au Georgia Women of Achievment et une plaque commémorative évoquant les personnalités reposant au Magnolia cemetery d'Augusta où figure, entre autres, son nom a été posée en 2004. Pour finir : « En 1948, dans le but de promouvoir des vocations d'enseignant(e) et d'honorer le souvenir de Julia Flisch, le Junior College of Augusta ( aujourd'hui Augusta State University) a créé une fondation intitulée The Julia Anna Flisch Memorial Scholarship.
Cette bourse, tombée dans l'oubli, a été réactualisée par le Georgia College en septembre 2018 grâce aux efforts et au soutien de la Professeure R. O. Harris et de son mari Don Harris. Chaque année, le même Georgia College organise une série de conférences, les Julia Flisch Annual Lectures. »
Un texte que j'ai lu avec passion et admiration.
Merci infiniment aux Éditions Métropolis Genève et à Marie Hasse pour leur confiance.