
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Meymac Les ombres du bois d'Encaux
Pierre Vignaud et Hervé Dupuy
de Borée
Le 8 mai 2025
232 pages
Documents
Chronique
9 mai 2025

Couverture à rabats avec illustrations intérieures.
" Résistance en Corrèze :
Quand les secrets d'une exécution surgissent du passé. "
" Des hommes face aux secrets de la Seconde Guerre mondiale. "
Alors que je venais d'assister, sidérée et en colère, au défilé de près de 1000 néo-nazis à Montparnasse, autorisé par la préfecture de Paris (!?!), en ce samedi 10 mai 2025, j'ouvrais la première page de cet ouvrage, Ô combien de circonstance. Plaidoyer indirect pour la paix, il nous raconte le pire et ses conséquences. N'oublions jamais.
Concernant les deux auteurs
Dans l'avant-propos, Pierre Vignaud écrit :
"Leur rapport au temps est différent : le journaliste est plongé dans l'actualité, le temps présent, quand l'historien pense l'événement dans un temps plus long, le contextualise systématiquement."
Le passé revient toujours dans la lumière surtout lorsqu'une chappe de plomb s'est abattue dessus, obligeant chacun des protagonistes à se taire. Mais le temps passe et les survivants, alors, livrent enfin la vérité pour se délester d'un poids trop lourd à porter, par humanité, parce que la vie s'achève bientôt et que certaines voix continuent à murmurer à leurs oreilles chaque nuit.
En mai 2023, Edmond Réveil, ancien résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, révèle avoir été témoin de l'exécution, dans un bois, de quarante six militaires allemands et d'une femme réputée collaboratrice en juin 1944.
Quatre-vingt ans nous séparent de ces faits et pourtant l'émotion des habitants de la région, de leurs descendants est énorme, l'intérêt de la presse certain dans un contexte politique d'amitié franco-allemande.
Qui étaient les exécuteurs et qui étaient les exécutés ?
Dans quel contexte tout ceci a-t-il eu lieu ?
Qui a donné les ordres et comment furent-ils reçus par ceux qui ont dû y obéir ?
Comment ont-ils vécu ensuite avec ce sang sur les mains ?
Peut-on qualifier ces exécutions de crimes de guerre ou d'actes nécessaires et incontournables ayant mené à la victoire ?
Y-a-t-il un procès à mener contre ces résistants alors que nous sommes tranquillement en sécurité aujourd'hui, et espérons pour longtemps, grâce à leurs actions ?
Ceux qui furent considérés comme des terroristes par les allemands que nous appelons nous résistants, appliquant des méthodes expéditives que des militaires n'auraient évidemment pas pu utiliser sans bafouer les règles internationales en vigueur pendant tout conflit, sont-ils à blâmer ?
Et enfin, qui étaient ces Allemands ?
Que sont devenues leurs familles ignorantes de leur sort pendant toutes ces années ? N'ont-elles pas le droit de connaître toute l'histoire de leurs aïeux, que ce soient des nazis convaincus ou de simples soldats enrôlés de facto dans les SS ? Ne peuvent-elles pas, comme chacun de nous, enterrer leurs morts, avoir un lieu où se recueillir ?
Les fautes, crimes, actes d'obéissance ou erreurs commises alors par ces hommes et femmes, dans les deux camps, doivent-ils retomber sur les générations suivantes en les empêchant d'avancer, libérées d'un passé qui n'est pas le leur ?
Non, bien sûr et c'est ce qu'Edmond Réveil a compris avant tout le monde, s'aliénant une partie de la population mais faisant ainsi acte de courage et de sincérité au crépuscule de sa vie.
Les auteurs reviennent ainsi sur les tragédies survenues à Tulle en Corrèze le 9 juin 1944, (99 pendus), et Oradour-sur-Glane en Haute-Vienne, le 10 juin 1944, ( 643 victimes). Dans ce contexte terrible, une montée en puissance provoquée par la colère, la tristesse, la rage de gagner, était inévitable tant du côté allemand que francais.
Mêlant la subjectivité maîtrisée du journaliste à l'impartialité et l'objectivité de l'historien, cet ouvrage édifiant, complet, ne laisse aucune zone d'ombre dans la mesure du possible.
Les passions se sont évidemment déchainées depuis la première déclaration, lors d'une réunion privée ayant trait à la Résistance, d'Edmond Réveil sur l'exécution de ces prisonniers. Une déclaration qui a fait l'effet d'une bombe et qui ne pouvait être sans conséquence sur les quelques survivants de cette époque, leurs proches mais, également, sur des familles allemandes toujours dans le brouillard.
Comment les recherches ont été menées par les auteurs, les personnels des archives diverses et variées, par les historiens consultés, par l'ONAC-VG (Office national des Anciens Combattants et Victimes de Guerre), par la VDK (Association allemande pour l'entretien des sépultures de guerre), par la journaliste allemande Tanja Stelzer, par les descendants des exécutés du bois d'Encaux, est en soit un récit passionnant, digne d'un film basculant entre hier et aujourd'hui : celui-ci serait palpitant, bouleversant, passionnant sur le plan judiciaire, moral et éthique, brossant des portraits plus incroyables les uns que les autres.
Trois corps ont été retrouvés en 1969 mais la fosse contenant les autres exécutés a été recherchée sans succès depuis.
Au moins, Birgit Mertens, petite fille de Johannes Niewels, ce soldat et homme ordinaire, sait aujourd'hui ce qui lui est arrivé.
Edmond Réveil a rempli son devoir, recevant la Légion d'honneur en décembre 2024, en petit comité, à la mairie de Meymac.
Entendez-vous les voix, percevez-vous les ombres des soldats, de Johannes, des résistants, "Papillon", "Hannibal", des 46 soldats du 95e et Feldgendarmes de la FG-Trupp.115, de l'inconnue française, et des Francs-Tireurs et Partisans français qui se retrouvèrent dans ce bois ce 12 juin 1944 ?
Enfin, je dois saluer la mise en page et l'organisation de cet ouvrage, véritable outil de travail pratique, permettant de rapidement se retrouver grâce au plan en troisième de couverture, à la liste finale des disparus du 95e régiment, à celle des abréviations utilisées pour les divers organismes rencontrés, et enfin à la chronologie exhaustive des évènements du 27 septembre 1943 à décembre 2024.