Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Mensonges inavouables - Une enquête de Maisie Dobbs
Jacqueline Winspear
City Editions
3 février 2021
438 pages traduites par Marion Boclet
Polar Historique
Chronique
9 février 2021
Titre original « Pardonable Lies ».
« Certes mentir n'est pas honorable ; mais quand la vérité entraîne la ruine, mentir est pardonnable. » Sophocle, Créuse
« Entassez les corps à Austerlitz et à Waterloo.
Enterrez-les, et laissez-moi faire mon travail - je suis l'herbe ; je recouvre tout.
Et entassez-les à Gettysburg,
et entassez-les à Ypres et à Verdun.
Enterrez-les, et laissez-moi faire mon travail.
Deux ans, dix ans, et les passagers demandent au chef de train : quel est cet endroit ?
Où sommes-nous maintenant ?Je suis l'herbe.
Laissez-moi faire mon travail. » Carl Sandburg, L'Herbe
Je me sens complètement frustrée à la fin de cette formidable lecture : comment en est-on arrivé à n'éditer que trois opus des aventures de Maisie Dobbs chez nous ? Celui-ci est paru en 2005 !Vous avez bien lu, cette série policière originale et passionnante comptant 15 tomes, best-seller incontestée de l'édition, n'est traduite en français que pour trois livres seulement !!!!
Quand on a entre les mains une telle pépite et un personnage principal si fantastique dans un contexte très particulier propice à des évènements plus épiques et bouleversants les uns que les autres, on se doit d'y donner accès au lectorat français.
Sur la quatrième de couverture il est dit que Maisie Dobbs est à la frontière entre Sherlock Holmes et Miss Marple. Oui et non ! J'ajouterai pour faire bonne mesure le personnage créé par Kerry Greenwood et transportée en série télévisée, Miss Fisher, détective privée, maniant les armes, sachant se battre, collectionnant les amants, étourdissante dans ses tenues des années 20 et conduisant à toute vitesse une décapotable.
Maisie est un mélange des trois :
Détective privée et surtout psychologue, ayant été infirmière lors de la première guerre mondiale en France, comme Miss Fisher je crois, elle allie les talents et aptitudes professionnels d'un excellent analyste capable de décrypter les comportements et attitudes des personnes qu'elle interroge, à l'instar du héros de Sir Arthur Conan Doyle, mais en bien plus agréable et modeste ; elle a le sixième sens de ce dernier et des intuitions "féminines" d'une jeune Miss Marple, puisqu'elle sont de la même génération ; et enfin, elle est indépendante et moderne comme la privée australienne, sans pour autant savoir se battre ou manier les armes. Sa vie sentimentale est tranquille, normale, célibataire à trente ans, avec un prétendant médecin en province, tout à fait charmant.
L'intérêt de cette série policière est qu'elle met en scène des femmes, dont Maisie, encore traumatisées par ce qu'elles ont vu et fait sur les champs de bataille et qui ressentent à leur retour au pays une reconnaissance tout à fait insuffisante de l'importance de leur rôle dans la victoire, subissant pendant des années après l'armistice, les règles imposées par la société patriarcale. Sans oublier qu'elles affrontent ensuite des ondes de choc de traumas violents, comme tout vétéran de guerre, mais sans médailles et remerciements pour services rendus à la patrie.
J'ai beaucoup repensé à un roman fabuleux et nécessaire, " Deux femmes dans la tourmente" de Teresa Messineo qui racontait la guerre des infirmières des corps d'armée, américaines, pendant le second conflit mondial. Même constat, même syndromes post traumas, même mépris la paix revenue.
Maisie Dobbs s'est donc plongée dans les études avec l'aide de son mentor, Maurice Blanche, homme des plus énigmatique autour duquel plane un mystère : il l'a formée pour être l'excellente enquêtrice et psychologue d'aujourd'hui. Cependant, elle n'a pas affronté ses peurs, ses angoisses, dûes à la guerre, elle a préféré se noyer dans le travail comme beaucoup de rescapés de l'enfer.
Ainsi, l'affaire que lui propose Sir Cecil Lawton, prouver que son fils a bien été tué lors du crash de son avion au dessus de la France nécessitant de se rendre sur place, la fait intérieurement trembler. Elle est assez honnête envers elle-même pour comprendre que le moment d'affronter le dragon des souvenirs est venu. Mentir aux autres peut être possible et acceptable mais pas à soi-même.
Son amie, Priscilla Partridge, est dans la même situation psychologique, ayant en plus le poids de la perte de ses trois frères à porter. L'absence d'informations réelles sur les circonstances de la disparition du dernier d'entre eux, Peter, pèse lourdement sur son cœur. Apprenant la mission de Maisie, elle ose alors, y voyant un signe, lui demander d'enquêter officieusement pour elle.
Ajoutez à ces deux dossiers, déjà complexes, celui de la très jeune prostituée Avril Jarvis, accusée de meurtre... vous comprendrez aisément que vous allez être guidé par la très talentueuse Jacqueline Winspear dans un récit haletant, passionnant aux multiples rebondissements, servi par une reconstitution savoureuse des décors, des vêtements, des us et coutumes de ces années trente.
Je me suis régalée grâce à ce roman policier historique également thriller psychologique mettant en lumière un personnage de femme tout à fait unique.
« Ils ne vieilliront pas comme nous qui sommes voués à vieillir ;
L'âge ne les flétrira pas, les ans ne les condamnèrent pas.
Quand viendra l'heure du crépuscule et au point du jour
Nous nous souviendrons d'eux. » Extrait du poème For the Fallen de Laurence Binyon.