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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Marx et la poupée

Maryam Madjidi

VDP Voir De Près

2017

408 pages

Roman biographique

Chronique

18 février 2019

Prix Goncourt du premier roman en 2017,

« La patrie n'est qu'un campement dans le désert. » Proverbe tibétain.

« La vie n'est pas une plaisanterie,

Tu la prendras au sérieux,

Mais au sérieux à tel point,

Que les mains liées, par exemple, dos au mur,

Ou dans un laboratoire en blouse blanche,

Avec d'énormes lunettes,

Tu mourras pour que vivent les hommes,

Les hommes dont tu n'auras même pas vu le visage,

Et tu mourras tout en sachant que rien n'est plus beau, que

rien n'est plus vrai

Que la vie. » Nazim Hikmet


Histoire d'un exil vécu et raconté par la petite fille que fut et reste encore Maryam Madjidi ; heureusement cela nous permet ainsi de lire un très beau livre bouleversant, sans fanfreluche ou pathos inutiles, drôle par moment, tragique et insupportable aussi, certes directement lié à la situation désastreuse et terrible de l'Iran, qui pourtant par sa poésie, sa vérité absolue quant aux ressentis des exilés, quels qu'ils soient, est universel.


Elle est bien courageuse Maryam, tenace, coriace, têtue et extrêmement intelligente. Une force inouïe l'aide à trouver, instinctivement et aussi après une sérieuse cogitation comme les enfants peuvent en avoir, des solutions, des moyens de résilience, de résistance.

Tout lui est imposé, injustement : déjà dans le ventre de sa mère, étudiante en médecine, communiste militante, celle-ci piégée dans la fac menacée par des milices, saute par la fenêtre au mépris de sa grossesse de sept mois. Ça ne va pas non ! Et moi ? Déjà elle pense que sa maman a préféré la cause à elle. Premier sentiment d'abandon in utero.


Heureusement la grand mère, figure matriarcale incontournable, aimante, rassurante, aux ongles à la manucure parfaite, ( détail gravé dans la mémoire de la fillette), va remettre de l'ordre dans toute cette folie, et elle n'a pas fini... Comment ? Vous mettez des tracts communistes dans les couches de la petites pour les transporter au nez des autorités ? Comment vous partagez votre enfant, inconsciente du danger, avec d'autres militants inconnus ?


Le père banquier est licencié et se tourne vers des petits jobs manuels au noir, mais l'étau se resserre. Fini les poupées, les contes, les copines, les bras de grand mère, les oncles affectueux, le jardin, les bons petits plats iraniens savoureux, liens éternels à l'enfance, fini de parler le persan, fini d'être persane.... Ah oui ! Vraiment ?

Arrivée à Paris 18e avec maman, sept mois après papa parti en éclaireur. Immeuble cossu, tapis moelleux rouge dans l'escalier...mais jusqu'au quatrième étage seulement....ensuite le domaine des pauvres commence : sixième étage, un studio sans sanitaire, WC sur le palier. Le coeur des deux exilées dégringole dans leur poitrine. C'est ça la France, liberté égalité fraternité au fronton de toutes les mairies, ce cagibi à trois, cette nourriture dégoûtante, beurk des croissants au petit déjeuner, où sont le pain iranien et la feta ? Ça commence mal !


La candeur et l'analyse très pragmatique de Maryam sur ce qui l'entoure à l'école, dans les parcs, à la cantine, la tristesse de l'éloignement des siens, le manque de sa grand mère qui lui apparaît tout au long de sa vie pour l'encourager à être brave, la mélancolie et les difficultés matériels, l'ignorance de la langue, font de cet exil politique, obligatoire, forcé, un cauchemar, une douleur. La France terre de liberté de penser, d'être une personne moderne et indépendante, impose à l'époque aux enfants émigrés dans les classes CLIN, à prononcer Clean, une intégration effaceuse de mémoire, de culture, de traditions étrangères. Bravo !


Devant tant d'injustices, Maryam traumatisée et seule, décide de ne plus parler, jouer et manger. Elle pose son regard noir acéré sur tout ce qui la cerne, elle se noie dans son chagrin....


Ensuite nous la suivons dans l'enfance et plus tard, jeune femme, dans toutes ses pérégrinations mentales et géographiques ; nous la voyons après la première naissance revenir à la vie par deux fois....


Comment peut on être persane ?

Comment être une exilée ?

Comment vivre tiraillée entre l'Iran et la France, entre le persan et le français ?

Comment être un individu à part entière, dans son essence pur ?

Où se situe son point d'équilibre, son noyau ? Comment enfin accepter ce qui nous fut imposé, la déchirure de l'absence d'un pays, des êtres chers, sans plus de colère, de haine, de désespoir ?


Tout nous est raconté, dans une chronologie qui semble aléatoire mais qui ne l'est pas.


Livre biographique et romancé, entre réalité et onirisme...

« Il ne faut pas être moi, mais il faut encore être nous. La cité donne le sentiment d'être chez soi. Prendre le sentiment d'être chez soi dans l'exil. Être enraciné dans l'absence de lieu. Se déraciner socialement et végétativement. S'exiler de toute patrie terrestre. » Simone Weil - La pesanteur et la glace.

Quatrième de couverture

Depuis le ventre de sa mère, Maryam vit de front les premières heures de la révolution iranienne. Six ans plus tard, elle rejoint avec sa mère son père en exil à Paris.
À travers les souvenirs de ses premières années, Maryam raconte l’abandon du pays, l’éloignement de sa famille, la perte de ses jouets – donnés aux enfants de Téhéran sous l’injonction de ses parents communistes -, l’effacement progressif du persan au profit du français qu’elle va tour à tour rejeter, puis adopter frénétiquement, au point de laisser enterrée de longues années sa langue natale.
Dans ce récit qui peut être lu comme une fable autant que comme un journal, Maryam Madjidi raconte avec humour et tendresse les racines comme fardeau, rempart, moyen de socialisation, et même arme de séduction massive.

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