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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Martin John

Anakana Schofield

Actes Sud

Février 2020

368 pages traduites par Anne Rabinovitch

Thriller Psy

Chronique

14 octobre 2020

P. 180

Inadéquat : l'agresseur inadéquat est le délinquant sexuel qui se rapproche le moins des normes sociales et comportementales. On le définit comme un inadapté social, isolé, qui paraît excentrique ou anormal. Il est peut-être mentalement dérangé et préfère les partenaires sexuels inoffensifs.


Il faut avoir le goût de l'inconnu, de l'exceptionnel et du risque pour plonger dans ces pages perturbantes et perturbées. Bienvenus dans les arcanes du cerveau torturé, abîmé, obsessionnel de Martin John.

Un être non structuré comme nous l'entendons habituellement, avec notre compréhension très pragmatique et normative des choses.


On ne sait de quoi il souffre vraiment : nous sommes piégés en lui, nous buggons avec lui, nous nous épuisons avec lui à tourner en rond, à suivre ses parcours, ses circuits dans l'espoir de calmer nos nerfs ; nous érigeons des piles et des murs

de choses variées pour nous protéger des attaques extérieures ou à l'intérieur même de notre maison, nous sommes obsédés sexuellement, incapables de nous contrôler alors même que nous contrôlons en permanence notre vessie prête à exploser, nous nous rappelons certaines choses que nous avons faites lors des interrogatoires de police ou des psychiatres, nous retournons vite, très vite à nos rituels, nos tocs, nous détestons les mots commençant par P dans les journaux que nous achetons tous les jours, nous mangeons du porc, nous allons voir la tante Naonnie tous les mercredis, nous téléphonons à Mam restée en Irlande alors que nous vivons à Londres maintenant.....


Nous sommes fatigués, épuisés.....

Nous...


Un livre admirable, dérangeant, extraordinaire tant par la créativité et les risques formels que par le thème évoqué : la folie vue de l'intérieur. On suffoque à lire vite, sans interruption ces lignes cauchemardesques... (Je vous conseille la lecture à haute voix...) Et par ce procédé, l'auteure réussit le tour de force de nous faire comprendre, et non excuser, les actes d'un délinquant sexuel...


Par petites touches, une répétition de mot, une phrase isolée, une mise en page soignée, nous comprenons l'origine du mal, ou plutôt les raisons de l'état de cet homme en souffrance et aussi dangereux pour les autres que pour lui-même. L'ombre de sa mère plane sur tout ce récit....


Nous, en position d'être spectateurs et acteurs, ne savons plus, sommes en apnée, en attente d'indices....


Ce livre est d'une audace dingue, sacrément gonflé... On pense quelques fois à Rain Man pour certains comportements obsessionnels de gestes, de tocs.... Mais ce n'est pas ce type de destin qui nous est conté. On mesure à quel point l'enfermement à l'intérieur de son propre esprit peut être un enfer.Cela nous permettra peut-être de regarder certains êtres égarés, perdus, oscillant dans nos rues, nos cliniques psychiatriques avec un peu plus d'humanité, d'empathie, de respect...

Les « fous » font partie de notre société, sont générés aussi par elle. Volontairement l'auteur situe l'action dans les années 70, décrivant la prise en charge des malades mentaux insuffisante de cette époque. Des avancées ont été faites, certes, cependant nous régressons depuis quelques années quant aux traitements et conditions d'hospitalisation de ces malades, pour certains délinquants ou criminels...


Alors il est vrai que ce thriller par son originalité quant à la forme, est réjouissant et quelques fois même drôle, mais j'ai le sentiment qu'il va bien plus loin que la simple narration de l'histoire d'un individu, Martin John... il débouche sur d'autres problématiques plus graves et d'actualité...Je ne peux en dire plus sans aller trop loin dans les révélations.


Donc pour une fois, ne détournons pas le regard face à la folie des autres, le malheur n'est pas contagieux... il peut être évité...

Quatrième de couverture

Martin John est-il un authentique délinquant sexuel, un fou, un mystificateur ? Attaque-t-il vraiment des femmes dans la rue, dans le métro de Londres et dans les trains, ou se contente-t-il de rêver de le faire ?
Nul ne le sait, et sans doute pas même sa mère qui le traite en permanence, et non sans rudesse, comme un irresponsable.
Ce qui paraît néanmoins certain, c’est que toutes les organisations sociales – famille, employeurs, services de santé, police – semblent avoir échoué à protéger Martin John du monde et échoué à protéger le monde de lui.

Mimétiques des aléas d’un cerveau dysfonctionnel, les pages du roman sont tantôt presque vides de mots, tantôt débordantes d’une parole torrentueuse. Des détails cruciaux dérivent, masqués et pourtant à portée de main pour qui veut reconstituer le puzzle. C’est ainsi qu’on apprend que Martin John souffre d’excentriques quoique inoffensives manies (un intérêt maladif pour l’Eurovision et les horaires de trains, une haine des mots commençant par la lettre p, une collectionnite aiguë portant sur les vieilles cassettes ou les journaux périmés), mais aussi qu’il est le pur produit d’une culture misogyne.

Sertissant des choix narratifs et stylistiques radicaux dans l’empathie qu’elle éprouve pour ses personnages, Anakana Schofield livre ici un roman puissant servi par une écriture dont l’audace initie le lecteur “en temps réel” aux spectrales géographies de la perturbation mentale.

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