
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Marie Chavannes dans son siècle 1876-1966 - Transmission et liberté
Sylviane Guillaumont-Jeanneney
L'Harmattan Mémoires du XXe siècle
29 novembre 2022
296 pages
Biographie
Chronique
8 février 2023

Photographie de couverture : Marie Chavannes avec sa fille Marie-Laure, vers 1916, collection personnelle de Sylviane Guillaumont Jeanneney.
Dernières lignes :
« Je ne peux m'empêcher de croire au triomphe de l'esprit sur la matière, au triomphe définitif du bien, des forces d'amour, ce qui rend toute sa valeur au dévouement. C'est ce qui donne toute sa valeur à la vie du Christ, à son exemple et ses enseignements. »
Quels qu'aient pu être ses doutes et ses indécisions, sa consolation au soir de sa longue vie est d'avoir aimé de « tout son cœur, de toute son âme et de toute sa pensée. »
Et en effet, Marie Octave Monod, nom sous lequel je l'ai découverte en tant qu'historienne et biographe avec l'ouvrage « Daniel Stern, Comtesse d'Agoult », paru en 1937 et réédité en 2022 aux Éditions des Femmes-Antoinette Fouque, ne peut qu'être heureuse et fière, en souffre sa modestie naturelle, du travail effectué, du rôle extraordinaire qu'elle a joué pour sa famille, pour ses proches, pour les femmes et toute la société.
Un destin hors du commun pour cette jeune fille romantique, sensible, respectueuse des dogmes protestants et des règles de bienséance, qui aurait donc pu se contenter d'une vie comme nombre de ses contemporaines dans l'ombre de leurs maris confinées à la maison avec leurs enfants. Mais Marie a d'autres aspirations, est d'une intelligence vive, et déjà mature et instinctive dès ses seize ans.
Elle est curieuse de tout, elle aime les gens, elle est généreuse et applique les préceptes de bienveillance et d'amour du Christ.
Même si des doutes quant à la religion apparaissent peu à peu, même si la société érige des murs entre les femmes et l'accès aux études universitaires, à la connaissance, à l'aptitude à penser par soi-même, il est hors de question pour elle, comme pour les siens, d'être reléguée à un rôle de potiche.
La rencontre avec Octave Monod est fondamentale et source d'un bonheur conjugal de 32 ans malgré les souffrances, les guerres, les difficultés du quotidien, la misère et la famine partout présentes. Un mariage qui tient malgré une longue stérilité apaisée cependant par une adoption, des plus rares à cette époque, d'un petit Noël, et la naissance inespérée d'une petite fille, Marie-Laure.
Surtout son époux, moderne avant l'heure, applique des principes d'égalité totale dans leur couple et ne peut concevoir que Marie se sente inutile, sans but, sans émulations intellectuelles, malheureuse.
Un tandem, une équipe soudée autour des enfants regardant dans la même direction et souhaitant apporter leur pierre à l'édification d'une société plus juste, plus solidaire, plus égalitaire.
Ils sont de tous les combats et même après le décès d'Octave, la lutte, l'engagement politique et sociétal remplissent la vie de Marie vaille que vaille, pour ne pas sombrer, parceque d'autres sont plus malheureux qu'elle. Une abnégation, une bataille quotidienne jusqu'à sa mort alors que le cœur saigne, alors que la maladie et la souffrance prennent possession de son corps, alors que les finances ne sont pas joyeuses et qu'il faut se restreindre encore et toujours.
Ses engagements auprès des jeunes filles abandonnées à elles-mêmes afin qu'elles ne soient pas victimes de la prostitution et de la traite d'êtres humains, sa lutte afin de favoriser l'accès des femmes aux études et à l'éducation et évidemment à une carrière, sans oublier sa loyauté sans faille envers ses amis tel Georges Clémenceau, ne sont pas que des mots. Ils remplissent tout son temps, lui prennent toute son énergie. Mais elle en a encore pour ses enfants bien-aimés, pour ses petits enfants. Elle est physiquement présente auprès d'eux, jouent avec eux, les instruit, les porte à forger leurs propres jugements, à devenir des êtres conscients du rôle qu'ils se doivent de tenir dans le monde en tant que citoyens. Lorsque je lis la biographie de ces enfants et petits-enfants, je mesure combien la victoire est totale, la mission accomplie au-delà des espérances. Des gens de bien !
Une Femme exemplaire, avant-gardiste, audacieuse, courageuse que je suis honorée de rencontrer via cette biographie mais aussi par mes entretiens et échanges avec trois de ses petits-enfants.
Une Figure emblématique qui redonne l'espoir en l'humanité.
Un ouvrage profondément touchant de par ce qu'il raconte mais aussi par ce qu'il tait pudiquement : des mots de tendresse entre une grand-mère inoubliable et sa petite-fille.
Ma gratitude à Sylviane Guillaumont Jeanneney pour sa confiance.