
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Maria Casarès une actrice de rupture
Florence Marguier-Forsythe
Actes Sud Le temps du théâtre
2013
214 pages
Biographie
Chronique
16 décembre 2018

Photographie de couverture : Maria Casarès jouant Catherine II de Russie dans La Mante polaire de Serge Rezvani, mise en scène de Jorge Lavelli au Théâtre de la Ville à Paris en 1977. Enfin cohérente dans ma démarche, je suis heureuse d'avoir découvert ce texte après "Tu me vertiges" chroniqué le 2 janvier 2017, axé sur l'histoire d'amour de Maria et Albert Camus.
Ecrit dans le cadre d'une série « Le temps du théâtre » bien particulière, ce récit suivant naturellement un cours linéaire de 1922 en Galice jusqu'en 1996 en France où elle fut une Résidente Privilégiée, pour notre plus grande chance, ce livre est un hommage admiratif et tendre d'une passionnée de théâtre, de rôles, de textes à une figure incontournable, marquante de la scène contemporaine. Un projet de film, des regards et mots échangés, une vérité partagée à l'origine de ces lignes.
Maria Casarès est une jusqu'auboutiste, respectueuse avant tout des auteurs, reculant ses propres limites lors de répétitions où l'artisane recherche inlassablement par le corps, par les ruptures de textes, par les silences où une projection de sa voix unique à toucher à la vérité, à l'oubli de soi dans le personnage. Un laboratoire au service du théâtre qu'elle aime profondément, qui est sa vraie patrie. Nous retrouvons la femme entrevue dans « Tu me vertiges » mais aussi l'actrice, la créatrice en puissance, la passionnée.
Nous suivons son parcours professionnel et artistique, les collaborations fabuleuses et fructueuses avec les auteurs, collègues, metteurs en scène, chorégraphe ; nous entrons aussi profondément qu'il est possible dans les arcanes de sa pensée au moment d'incarner un nouveau caractère, nous nous tenons à côté des spectateurs ou critiques de ses spectacles, de sa vie. Une femme en clair obscur, une exilée qui pût trouver sa terre, ses racines, ses vérités.
Jean Gillibert écrit à propos de Maria Casarès dans le rôle terrible de Lady Macbeth :
« Les acteurs n'ont pas seulement droit aux échos que leur renvoie le public qui les a entendus ; même dans leur éphémère sillage - ils savent mieux que tout autre, s'ils sont "mortels". La trace de leur présence ravive les cœurs mais fait plus quand ces acteurs sont " grands", elle imprègne les œuvres jouées d'un suc si personnel et si captivant, que ces œuvres vont continuer à transformer en miel le pollen déposé par ces abeilles. Maria Casarès a été cet "acteur-là" - et j'écris Acteur et non actrice, non pas pour retirer son sexe à l'actrice- " Ôtez-moi mon sexe", disait la plus extraordinaire " Lady MacbethCasarès" qu'on ait vue depuis longtemps !- mais pour donner à l'acteur un statut générique qui dépasse l'identité sexuée. Il est vrai que Maria Casarès a osé, dès qu'elle est apparue sur la scène française, ce qu'aucun homme n'osait faire. Toujours femme, connaissant les pouvoirs de séduction de la femme, elle transcenda cette médiation pour accéder à cette région du jeu, où l'être humain, dans toute son opacité, comme dans tous ses abandons, se livre. Le public devient alors son cosmos. »