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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Maï, une femme effacée

Geetanjali Shree

des femmes Antoinette Fouque

Le 16 mai 2024,

256 pages traduites par Annie Montaut

roman

Chronique

15 mai 2024

"Les grands messieurs des histoires de Maman étaient toujours des imbéciles. Et dans les histoires plus longues qu’elle nous racontait, le pauvre faible innocent qu’on prenait pour un imbécile triomphait finalement. Qu’il y ait dans la faiblesse de l’innocent le potentiel de la victoire, nous l’admettions volontiers, mais sans y penser plus que cela." G.S.


Il est toujours plus difficile et délicat d'écrire une chronique lorsque l'on a rencontré, même brièvement, un(e) écrivain(e), échangé avec cette personne de vrais regards, de vraies pensées ou confidences, malgré la timidité ou l'insécurité qui nous habite. 

J'ai eu la chance et l'honneur d'être invitée à la présentation de ce roman vendredi dernier à la librairie " L'écume des pages" près de Saint-Germain des Prés, comme je le fus précédemment pour le roman stupéfiant et magnifique "Ret Samadhi", couronné en 2022 de l'International Booker Prize.


À nouveau, ce fut un moment magique, hors norme et hors du temps à l'instar de ce dernier roman, en ce que Geetanjali Shree est d'une authenticité et d'une sincérité confondantes, étonnantes. S'attachant à décrire l'infiniment petit, à raconter un quotidien à la limite de la trivialité, à donner chair à des êtres modestes presqu'invisibles, elle réussit à ouvrir pour nous l'horizon et à évoquer ainsi des valeurs universelles.

Cette histoire est inscrite dans un espace et une période donnés et, pourtant, elle est atemporelle et concerne l'humanité entière. 


Comme l'héroïne inoubliable de Ret Samadhi, Maï, silhouette courbée physiquement et moralement, n'est pas celle que l'on croit. Elle est une énigme que ses propres enfants ont de la peine à dénouer. 

En effet, un mystère entoure cette personnalité  d'une grande complexité ; qui se cache vraiment sous ce voile ? Ses choix de vie et son acceptation de sa place et de son rôle dans sa famille, semblant imposés par son mari et plus largement la société patriarcale indienne, sont incompréhensibles pour sa progéniture. 


L'analyse des différents états d'âmes par lesquels passent  Sounaina, l'aînée, et  Soubodh, son frère, est d'une justesse et d'un hyperréalisme incroyables. 


D'abord la cataloguant rapidement dans la case des victimes, ses enfants de par leur inexpérience et leur âge, forts de leur bilinguisme et de la supériorité induite par leur rapport facilité au monde extérieur, veulent à tout prix la sauver d'elle-même, de sa faiblesse, de son apathie inacceptables à leurs yeux. Du coup, bientôt, ils sont en proie à la souffrance de l'impuissance face à une mère qui résiste, souhaite rester dans l'ombre.... Ils veulent la sortir de sa zone de fausse sécurité, ils se font insistants, inversant les rôles, la marquant d'un jugement sévère qui l'infantilise, l'abaisse. Alors évidemment, peu à peu, ils commencent à la haïr, à vouloir la fuir, tant ils se sentent dans l'incapacité de la changer, de la métamorphoser en une mère fantasmée. 


Ce qui se joue, particulièrement pour Sounaina, est très grave, car née fille, la liberté de disposer de son corps, de décider de sa vie, lui sont interdits par la vieille garde alors que son petit frère, l'homme en puissance, peut partir à l'étranger pour étudier et en rapporter des idées révolutionnaires et modernes... La jeune fille aime sa mère et en même temps ne la supporte plus. Ce n'est pas une simple crise d'adolescence, c'est bien plus profond. 


Toute métamorphose d'une société quels que soient le pays et l'année où elle intervient, provoque des fissures au sein des familles, des clans. La maison familiale, emplie des senteurs divines s'échappant de la cuisine maternelle, régie par des règles édictées d'abord par les grands parents puis par les parents, n'est plus un refuge pour Sounaina, mais un piège, une geôle, qu'elle veut fuir pour ne pas finir comme Maï. 


Mais doucement, insensiblement, fugacement, les fragments du miroir brisé symbolisant cette famille, se replacent, et le reflet recréé n'est pas celui imaginé par le frère et la sœur. 

Maï est-elle vraiment effacée ? Est-elle si soumise, victime des violences supposées de la part du père ? N'y-a-t'il pas une autre vérité, une autre interprétation à donner aux signes qu'ils pensent avoir vus ? Savent-ils réellement ce qui se déroule dans l'intimité du couple formé par leurs parents ? Les connaissent-ils vraiment ? Ne les ont-ils pas trop vite jugés étiquetés ? 


Comment pourrions-nous améliorer la communication entre les générations ? Pourrions-nous faire preuve de tolérance et de sagesse les uns vis à vis des autres ? 


Maï est une héroïne universelle et sans âge, ce roman un récit profondément humaniste aux multiples facettes s'interrogeant sur la difficulté à comprendre et accepter l'autre simplement dans sa différence, sans condamner. Ce qui est valable au niveau d'une famille, donc d'un microcosme, est évidemment valable pour le monde entier. 


Vendredi dernier, nous étions plusieurs à témoigner de notre gratitude envers l'autrice en ce qu'elle nous avait raconté une histoire qui touchait également à notre intimité, à notre vécu. Pour certains même, ce roman avait pansé des blessures et effacer, ou au moins atténuer, la douleur encore présente, générée par la haine et le sentiment d'impuissance voici des décennies face à une mère, un père, très semblables à Maï et son époux. 


Merci infiniment également à Annie Montaut pour sa traduction incroyable, si sensible et attachée à mettre en lumière magnifiquement l'autrice et son œuvre, tout en s'oubliant et s'effaçant. Du grand art. 

Quatrième de couverture

Une mère traditionnelle vue par sa fille en quête d’émancipation et de modernité.

La discrète Maï est dévouée à son mari volage, à ses beaux-parents au caractère difficile et autoritaire, ainsi qu’à ses enfants. Mais qui se cache donc derrière ce voile qui révolte tant sa fille Sounaina ? À travers ses yeux perspicaces, on découvre le quotidien de cette famille indienne et la toile d’images et d’événements centrée autour de Maï. Malgré les encouragements de Sounaina à s’opposer aux injonctions absurdes de l’ancienne génération, Maï, comme tant d’autres femmes effacées par l’autorité patriarcale, choisit de se sacrifier pour le bonheur familial et le respect des traditions. C’est dans le silence de Maï que se dévoile l’éloquence du faible, et dans son incommensurable vulnérabilité, sa force infinie.

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