
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Les villes de papier" de Dominique Fortier paru l aux Éditions Grasset,. Lecture du début de cet essai enregistrée en vidéo sur Éva Résonances littéraires.
Dominique Fortier
Grasset
Le 9 septembre 2020
208 pages
Essai
Chronique
24 septembre 2024

Une merveille encore une fois de la part de cette autrice hautement inspirée par la poète Emily Dickinson. Et je ne peux que la comprendre. Comment ne pas se sentir bouleversée, secouée, ramenée à l'essence des choses par cette silhouette blanche qui de spectrale devient incarnation.
J'ai chroniqué "Les ombres blanches" paru en 2022, ouvrage d'une grande beauté. Toujours le mot "splendeur" me vient à l'esprit lorsque j'ai la chance inouïe de lire de tels textes !
Oui, je comprends Dominique Fortier : découvrir ou interpréter un poème de cette femme est un honneur. En 1998, j'ai rencontré Emily, c'est ainsi que j'ai vécu la préparation et le concert donné à la Cité de la Musique de Paris dont j'étais l'interprète principale. Huit des "Twelve poems of Emily Dickinson" orchestrés par Aaron Copland. Depuis j'ai plusieurs fois repris ce cycle avec piano, ce fut même un de mes premiers récitals mis en scène, mêlant chant lyrique et Origami en 2009.
Stupéfaction ! Dominique Fortier aussi associe le papier à Emily Dickinson comme cela m'est apparu essentiel pour le spectacle. Centaine de petits morceaux de pages comme autant de parts d'éternité, de vérité absolue, de fragments de lumière aveuglante. Emily Dickinson touche tant Dominique Fortier, intimement, que son texte livre autant de confidences sur sa propre vie que sur celle fantasmée, imaginée de la poète. Leurs destins se mêlent, les décors se superposent, le temps se fige.
Dominique Fortier réussit fabuleusement à nous faire toucher du doigt toute la complexité, toute l'intégrité, toute la justesse de cet être d'exception capable de voir l'infiniment grand dans l'infiniment petit, de comprendre le monde en sa grandeur en regardant son simple jardin par sa fenêtre, de l'infime à l'immensité. Emily Dickinson pour moi, c'est un rire, un regard vif et ébloui, c'est un souffle, une ponctuation et un sens du rythme singuliers, c'est une force de conviction, c'est une âme incandescente et transfigurée, invaincue. C'est celle qui écrivit :
Sleep is supposed to be,
By souls of sanity,
The shutting of the eye.
Sleep is the station grand
Down which on either hand
The hosts of witness stand!
Morn is supposed to be,
By people of degree,
The breaking of the day.
Morning has not occurred!
That shall aurora be
East of Eternity;
One with the banner gay,
One in the red array, –
That is the break of day.
Traduction :
Le sommeil est censé être
par Emily Dickinson
Le sommeil est censé être,
pour les âmes saines,
la fermeture des yeux.
Le sommeil est la grande station
En bas de laquelle de chaque côté
Les armées des témoins se tiennent debout !
Le matin est censé être,
pour les gens de haut rang,
le lever du jour.
Le matin n'est pas encore venu !
Cette aurore sera
à l'est de l'éternité ;
L'un avec la bannière gaie,
L'autre dans l'uniforme rouge, -
C'est l'aube.
Il est difficile de transcrire un poème d'Emily Dickinson même en étant anglophone. Quelle chance donc d'avoir pu, grâce à Aaron Copland dans un premier temps puis à Dominique Fortier et bien d'autres écrivains de grand talent, toucher à la vérité de cette créatrice, capable du geste artistique dans toute sa perfection, sa pureté. La poète vit en nous, nous accompagne toujours.
Profonde gratitude !