Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Les secrets de ma mère
Jessie Burton
Gallimard
3 septembre 2020
512 pages traduites par Laura Derajinski
Historique
Chronique
23 octobre 2020
Un texte contemporain pour ce nouvel opus de Jessie Burton basculant entre aujourd'hui et les années 80 à Londres et Los Angeles.
Deux destins en parallèle, celui de Elise et de sa fille Rose, toutes les deux incapables de se déterminer dans la vie en raison du décès ou de la disparition maternels.
C'est un monde de femmes qui nous est décrit où les hommes jouent au minima le rôle de géniteur au mieux celui de père bienveillant mais défaillant. Des hommes adulescents qui en vieillissant sont piégés par leurs mensonges. Des hommes d'une certaine façon assujettis aux femmes plus fortes, plus décisionnaires.
C'est aussi une histoire d'amour entre deux femmes qui se rencontrent par hasard dans un parc et qui mêlent leur destinée immédiatement sans se soucier du petit ami de l'une, de la famille ou du qu'en dira-t-on. Dans les années 80, c'est prendre beaucoup de risques.
Elise a la vingtaine, son amante presque quinze ans de plus, une notoriété grandissante en tant qu'écrivaine d'autant plus que son premier roman est en passe d'être adapté au cinéma. Les deux femmes bouclent leurs valises direction Los Angeles, ville de toutes les apparences, de toutes les tromperies.
Sur place, les studios mettent à leur disposition une villa avec piscine. Aucun cliché n'est épargné, autant Connie l'écrivaine en redemande, autant Elise ne trouve pas sa place dans ce microcosme intello-artistique où l'ironie et les mensonges sont de mise.
Une star Barbara va tenir le rôle principal du film....
Heureusement Shara, une amie de jeunesse de Connie, artiste peintre, et son mari Matt scénariste sans contrat, à ses heures surfer, vont se rapprocher du couple Connie - Elise. Une bonne chose qui peut, avec le temps, créer une situation intenable....
2017, la fille d'Elise, Rose, plus que trentenaire piégée dans un couple qui n'en est déjà plus un avec Joe incapable d'être adulte, reçoit un cadeau très particulier de son père : deux livres de poche d'une certaine Constance Holden, écrivaine reconnue de ses pairs en son temps, féministe, qui aurait été la dernière personne à voir Elise avant sa disparition... Pour Rose, incapable de construire quoi que ce soit en raison de cet abandon maternel incompréhensible, il faut absolument retrouver cette Connie disparue des radars depuis plus de trente ans. Le destin va s'en mêler....
Ainsi, grâce aux flashbacks, nous suivons avant Rose les méandres du parcours emprunté par Elise et Connie dont nous découvrons la vie américaine, l'intimité amoureuse, les amis dans un monde de paillettes où violences physiques et morales sont au programme, où sous un sourire de façade l'on cache des gouffres de douleur et de haine. Elise est-elle capable de supporter tout cela ?
Les décisions qu'elle prendra auront des conséquences terribles sur son entourage et sur sa fille. Une forme de malédiction doit être levée et seule Connie en est capable.
Faut-il qu'elle parle enfin à Rose !
Comme toujours un roman délicat tout en analyse psychologique d'une grande finesse et bienveillance. Un roman d'amour, de passion sans aucun voyeurisme, un récit sur la maternité mais également sur la paternité imposée ou volée. Car les femmes ont le pouvoir dans ce roman, elles décident ou non d'informer leur partenaire de leur grossesse ou de leur décision d'avorter.
On est ici dans une représentation d'un certain matriarcat par rejet des hommes ou par détestation pour ce que l'état de femme implique : règles douloureuses, maternité non désirée, mise entre parenthèses d'ambition de carrière.
Quoiqu'il en soit, on est très loin des clichés princes et princesses charmants de conte de fée... Et les femmes d'aujourd'hui malgré toutes les avancées ne sont pas plus sereines. Quoiqu'il en soit, Rose n'a pas le choix, elle doit entreprendre ce parcours initiatique la menant vers Elise vivante ou morte, mais surtout vers elle-même.