
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Les retournants
Michel Moatti
Hervé Chopin Editions
Mars 2018
269 pages
Thriller
Chronique
9 juin 2018

Que se passerait-il si un sociopathe, un serial killer en puissance se retrouvait envoyé dans une grande boucherie ? Imaginez un tel être à qui l'on commande de tuer, s'il ne le fait pas, il est exécuté...
Toutes les guerres sont criminelles, non justifiées quelque soit la raison invoquée, et toujours des monstres s'y sont cachés trop heureux du blanc seing qui leur est accordé.
Mais si cette tuerie organisée, autorisée, devient soudain insupportable, que l'idée même d'un dernier assaut voulu par les planqués du haut commandement, une ultime bataille forcément monstrueuse, vouée au carnage inutile, se profile après quatre ans dans la boue, le sang, les tripailles et la merde, alors même un sociopathe est pris d'une furieuse envie de fuir, de sauver sa peau. Et jamais il ne se retournera pour regarder en arrière.
Nous voici donc en août 1918, deux lieutenants sur le front de la Somme apprennent qu'une ultime grande attaque est prévue. Hors de question d'y participer, d'être de la chair à canon. Donc Adrien Jansen, ancien maître d'école, et Vasseur, ex-employé du ministère des Colonies, à bout, mettent toutes leurs forces et leurs aptitudes à se carapater au plus vite.
Depuis leur mobilisation, pendant que certains embusqués sont restés planqués à l'arrière, eux ont senti le désespoir, la rage, puis la fureur enfler de jour en jour.
Concernant Vasseur, la bataille a révélé sa véritable nature. Très vite Jansen se rend compte que son compagnon est terrifiant, une bête, un fou sans aucune conscience.
Ils partent ensemble de Dommartin direction l'ouest non sans semer au passage plusieurs cadavres des deux camps.
Le colonel Victaille décide d'envoyer son plus dangereux limier sur les traces de ces déserteurs. Le capitaine Delestre de la gendarmerie de la prévôté d'Amiens, surnommé le chien de sang, se met immédiatement à renifler la piste. Celle-ci au départ logique, toujours dans la même direction, devient curieuse, les modes opératoires différent d'un meurtre à l'autre.
Pendant qu'il les chasse, ses proies débarquent au Château d'Ansennes où résident Paul de Givrais, ancien maître verrier, sa fille Mathilde, fragile des poumons et pas seulement, somnambule, et leur domestique glaçante.
Tout est étrange sur ce domaine, ce trio qui vit dans un monde à part loin des réalités de la guerre, est inquiétant, anormal.
La rencontre de ces cinq personnages mène forcément au drame. Ambiance anxiogène, ou planent les ombres des morts et des revenants, où la folie est exacerbée, favorisée jusqu'à un dénouement digne d'un film de Hitchcock en noir et blanc.
Une fiction certes mêlée de souvenirs d'enfance, d'histoires racontées à la veillée par un arrière-grand-père Chéri. D'autant plus touchant et marquant. Nous avons, pour certains, des photographies d'aïeuls, de poilus, disparus ou rescapés de 14/18, la première des grandes guerres modernes sous le fallacieux prétexte d'une envie de remettre ça après la catastrophe de 1870.
Un récit de course poursuite sur fond historique, un vrai thriller installé dans un climat psychologiquement terrifiant en ce château maudit. Tous les ingrédients sont là pour vous stupéfier. Évidemment, la question du permis de tuer lors des conflits est au centre de ce livre. Nombre de criminels de guerre se sont cachés derrière cette ordre d'obéir, d'éradiquer l'ennemi, certains ont été condamnés, d'autres jamais, certains agissent toujours.