Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Les petits vieux n'ont pas dit leur dernier mot
Jean-Louis Serrano
City Editions
2 juin 2021
272 pages
Roman Polars
Chronique
9 juillet 2021
Biographie de l'auteur à l'alias Jean-Louis Desforges.
« Qui a dit que les maisons de retraite étaient mortelles ? »
« Vous vous comportez comme des sales gosses dans une cours de récréation. Quelques jours en garde à vue vous feraient le plus grand bien ! »
« Hilarant et captivant : un délicieux polar ! »
En ce qui me concerne ce récit est bien plus qu'un énième roman sur des vieillards en folie faisant les quatre cents coups ; pour moi qui semaine après semaine accompagne en particulier un couple d'amoureux âgés heureusement encore chez lui, ce texte m'a profondément touchée et bouleversée car je revoyais mon ami Olivier, très fragilisé et si héroïque, pleurant soudain à l'évocation d'un de ses souvenirs d'enfance ou de jeunesse pendant la seconde guerre mondiale. Un homme âgé qui brusquement redevenait un enfant que je consolais, dont la peine est aussi abyssale aujourd'hui qu'elle l'était alors.
Effectivement, souvent nous partageons des moments d'une cocasserie, d'une drôlerie infinies car ces héros de la vie qui ont tout traversé ont le sens de l'humour, de la dérision, de l'autocritique. Leur ironie ou leur blagues sont autant de signes de leur élégance, de celle dont se revêt la tristesse et quelques fois le désespoir. Ne pas se reconnaître lorsque l'on se regarde dans le miroir, se penser toujours jeune, avoir le coeur qui s'accélère face à une jolie nonagénaire, faire des coups pendables au personnel de l'Ephad avec son poteau de toujours, avoir encore le sens de la formule en digne émule d'Audiard, tout cela fait de ce roman un récit goûteux, puissant, émouvant, nous rappelant à nos devoirs envers nos anciens, nos sages.
Ce roman devient aussi oppressant, inquiétant, initiateur de notre révolte lorsqu'il aborde par le personnage de la femme de ménage Maria, la maltraitance sur personnes âgées par certains sadiques glissés dans le personnel soignant. Des tortionnaires qui prennent leur pied à s'attaquer à plus faible. Est-ce si étonnant, alors, que dans ce climat anxiogène de peur et terreur revenues, Pierre notre narrateur se souvienne avec autant d'acuité des années de guerre, de son jeune frère Georges disparu à jamais. Ce mystère d'hier se double bientôt de celui entourant la chute mortelle dans les escaliers de la Gorgone lusitanienne Maria. Pierre se demande si son copain Adrien n'aurait pas fait le coup et inversement ! La suspicion infecte les couloirs de la maison de retraite malgré les amours rafraîchissantes de Pierre et Pauline, et l'arrivée de la remplaçante de l'ogresse, la Martiniquaise Gloria.... mais un deuxième cadavre est retrouvé... On bascule dans le thriller.
Vous suivrez ces pieds nickelés jusqu'au bout de l'enquête et du chemin, vous voudrez enlacer et embrasser certains des pensionnaires, vous vous réjouirez que l'Amour et l'Amitié soient toujours aussi présents et vous chanterez avec Pierre et Lola sa petite fille de 25 ans bloquée dans la mémoire du grand père à 7 ans cette comptine :
« Un éléphant qui se balançait sur une toile, toile, toile, toile d'araignée.Et il trouvait ce jeu tellement amusant que bientôt vint un deuxième éléphant. Bidou, bidou.... Deux éléphants qui se balançaient.... »
Très beau roman sur la vieillesse, l'Amour, l'Amitié, le courage, le respect que nous devons aux anciens. Une réflexion en filigrane sur notre société jeuniste menacée de perdre ses fondations solides si nous n'y prenons pas garde. Un avertissement quant à toute cette mémoire bientôt perdue si nous ne récoltons pas les témoignages de toutes ces personnes âgées ; enfin un plaidoyer se servant de l'humour comme arme de guerre massive contre l'exploitation et la maltraitance des pensionnaires de certaines maisons de retraite qui sont autant de mouroirs indignes où sévissent des criminels en puissance.
Effectivement l'auteur a raison de rappeler que les petits vieux n'ont pas dit leur dernier mot et qu'ils peuvent toujours se défendre, voire plus.