Ce texte a reçu en mai 2025 le Prix Maison de la presse 2025. Félicitations à l'autrice. On ressent son engagement de mère et de femme dans cet ouvrage.

Citations :

À Elsa, ma sœur,

et à toutes ces femmes, qui comme elle, 

"ont eu la force 

de soulever les racines 

sous leurs pieds 

et de planter leur cœur blessé 

face à une nouvelle lumière."

Wattney Lander, dans Black Sheep 

"Le silence est mon amant secret.

Nous nous rencontrons chaque fois 

que nous le pouvons.

J'ai soif de lui. Une envie irrépressible de 

me retrouver dans son étreinte 

en laissant chaque fibre en moi être 

caressée par sa présence."

Sussi Louise Smith, "If You Must, Sing ", 

dans Seachanger - Wave weaver 

Oui, s'enfermer , dans le silence, s'y lover pour s'y sentir enfin protégée sans avoir besoin d'affronter un monde qui ne comprendrait de toute façon pas, jugerait, condamnerait, ne ferait aucunement œuvre d'empathie. 

Hannah Arendt a dit : "La mort de l'empathie humaine est l'un des premiers signes d'une culture sur le point de sombrer dans la barbarie". 

Notre société est-elle en train de tomber à force de se regarder, tel Narcisse, dans un miroir constitué de toutes les images déformées d'elle-même qu'elle ne cesse de produire encore et encore. 

Abborrparken : 

Le silence entourant le cadavre de l'adolescent n'est pas source de réconfort mais de stupeur face au déchaînement de la violence, visible sur son crâne fracassé, de l'écho de son cri, des ondes de sa terreur. Le silence mord tous ceux qui approche de ce cadavre revêtu de l'aube et de la couronne de Sainte Lucie sur cette Île de Lindigö bien éloignée soudain du bruit et de la vie de sa voisine, en face, Stockholm. 

Est dépêché sur place le commissaire Aleksander Storm qui, à peine sorti du cocon douillet de sa famille, est projeté dans l'horreur. 

Le lieu de la découverte macabre est connu des forces de police et du public. 

En effet, le corps d'une jeune fille, Jenny, y gisait voici 23 ans dans le même costume, dans ce même décor. Grâce à l'ADN, son ex-petit ami, Gustav avait été arrêté, condamné et emprisonné. À quelques jours de sa sortie, malgré la présence et l'aide de sa mère Anna, il s'est suicidé. 

Affaire classée ou erreur judiciaire, à oublier ou à considérer comme un cold case ?

Qu'est-ce qui relie les deux victimes, si éloignées dans le temps ? 

Non loin de là, Maïa Rehn, une policière française en congé sabbatique, installée dans la maison des parents de son époux Ebbe, participe à une soirée huppée avec son ami Christian Bergval, dans un hôtel de luxe, rassemblant tout le gratin littéraire sous l'égide des prestigieuses Éditions Akerman.

Elle y fait la connaissance de Sophia Akerman, fille du fondateur de cette maison. Les deux femmes n'ont plus de temps à perdre avec les formules de politesse et les circonvolutions de langage. Elles s'avouent assez vite qu'elles ont toutes deux perdu leurs filles. 

" Vous savez ce que j'ai découvert en perdant ma fille ? dit-elle soudain, rompant le silence. Il n'existe pas de mot en suédois, ni en anglais d'ailleurs, pour décrire un parent veuf ou... orphelin de son enfant. 

- Il en existe un en sanskrit : vilomah. Ça signifie "contre nature". 

Les yeux de Sophia Akerman s'accrochent aux miens comme dans une étreinte désespérée. Celle d'une personne en territoire étranger qui vient enfin de trouver quelqu'un qui parle son langage. "

Deux mères donc qui se trouvent, l'une d'entre elles voulant comprendre, expier peut-être, une faute passée, une erreur qui fit que sa fille Anna, seule à clamer l'innocence de Gustav son fils, s'est tuée après le suicide de ce dernier, totalement désespérée avec le sentiment d'être seule et incomprise. 

Sophia demande alors à Maïa d'enquêter pour elle car la similitude entre les deux corps de jeunes, Jenny et un certain Daniel, laissés dans le même parc, ne peut être due au hasard. Quelqu'un veut passer un message afin de briser le silence. Elle s'interroge : son petit-fils était-il vraiment coupable ? 

Maïa n'a aucune légitimité judiciaire en Suède mais bientôt en présence d'Aleks, il apparaît que leurs regards seront complémentaires. Ainsi les deux limiers se mettent en chasse de la vérité d'autant plus qu'un autre meurtre a lieu, même mode opératoire, un autre fils de... 

Les festivités de Sainte-Lucie sont soudain teintées de rouge sang. La peur s'empare de tous.

Nos amis, tour à tour narrateurs de cette traque, sont aux portes d'un territoire inconnu, où jaillissent les cris des victimes, où nul mensonge ne peut se perpétuer. Maïa et Aleks sont sur un parcours initiatique, de vérité absolue, exigeant courage et cœur vaillant. 

Il est très intéressant, en tant que française, de découvrir le positionnement des Suédois sur certains sujets sociétaux très délicats, au centre de toutes les préoccupations actuelles, enjeux majeurs des acteurs politiques et des citoyens. Tout un mode de vivre ensemble à changer, une révolution en profondeur des mœurs et des certitudes morales, éducatives et philosophiques, à mener. Nous ne sommes qu'au début de cette métamorphose et ce thriller en est la parfaite illustration. 

Très bon roman nordique au scénario bien pensé, aux personnages réalistes, le dépaysement en plus.