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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Les Impatientes

Djaïli Amadou Amal

VDP Voir De Près

2020

428 pages

Roman

Chronique

2 septembre 2021

Quelques informations indispensables donnés par l'éditeur : « Les Impatientes » est la reprise en Europe du roman « Munyal, les larmes de la patience » (munyal signifiant « patience » en peul) publié en 2017 au Cameroun et dans l'ensemble de l'Afrique francophone, qui avait reçu en 2019 le premier prix Orange du Livre en Afrique. C'est à l'occasion du prix Orange que l'éditrice française Emmannuelle Collas (ancienne directrice des éditions Galaade) remarque le roman et décide de le publier dans sa toute jeune maison d'éditions fondée en 2018. À cette fin, elle retravaille le texte avec l'auteure afin de le rendre « universel, [pour] qu’il puisse être lu partout dans le monde » en s'attachant toutefois à préserver les mots en peul. » « Munyal » est le leitmotiv de ce roman brandi par tous les hommes jaloux de leur pouvoir sur les femmes.... et par certaines femmes, gardiennes de traditions inégalitaires, injustifiées, monstrueuses, peut-être dans un désir de se venger sur toutes les autres de ce qu'elles ont dû subir elles-mêmes. Des femmes qui se transforment donc en collabos, en tortionnaires à l'instar de leurs pères, fils, maris, frères, qui au nom d'un « Islam » réinterprété se permettent tous les crimes, violences, abjections. La jeune fille ne s'appartient pas, ne doit être qu'une esclave sexuelle, une domestique, un punching-ball, une marchandise ; elle doit tout endurer en se répétant « Munyal », patience... Patience de quoi ? D'être assassinée, de devenir l'ombre d'elle-même, de se dissoudre totalement, de s'effacer dans le décor. Elle n'est rien d'autre qu'une possession, et si quelque chose se passe mal au sein de son couple, c'est forcément de sa faute à elle, son époux violent, infidèle, violeur, sadique est le seul qui compte, il est un homme, un mâle. Bienvenue donc dans l'univers merveilleux de la société Peule, au sein de plusieurs concessions appartenant évidemment à des patriarches pratiquant la polygamie. En lisant ce roman effroyable, à peine supportable, remarquable et indispensable, j'ai cru lire un roman historique au temps de Soliman le magnifique au sein de son harem, avec moults détails sur les tortures psychologiques et physiques subies par les épouses du sultan, avec les intrigues de cours, l'ambiance malsaine et délétère, les complots, le mépris et la haine des hommes pour les femmes et des femmes entre elles. Et puis non, cela se déroule aujourd'hui, cet enfer perdure à l'abri de hauts murs. Trois destins féminins nous sont contés : celui de Ramla, jeune fille éduquée, amoureuse, au caractère affirmé, aux yeux ouverts sur l'étranger, sur le monde, ailleurs. Puis celui de sa demie-sœur Hindou, douce, fragile, pas instruite, une victime facile insuffisamment armée pour sauver sa peau. Et enfin, Safira, 35 ans, première épouse et favorite d'un homme à qui elle s'est totalement dévouée pendant vingt ans, lui donnant six beaux enfants, qui a respecté toutes les obligations iniques imposées par la tradition et qui, soudain, doit accepter le choix d'une deuxième épouse, en l'occurrence Ramla, accepter d'être reléguée à attendre son tour car pour elle aussi "Munyal" est un précepte qu'elle doit appliquer. Et si justement ces trois femmes décidaient de ne plus être patientes, de ne plus suivre les règles mysogines et dégradantes imposées par la culture Peule ? Comment se sauver ? Comment respirer, piégées dans ce cauchemar réel ? Tout l'entourage des deux sexes de nos trois héroïnes n'est pas haïssable et n'accepte pas cette situation révoltante, évidemment et heureusement ! J'espère que vous avez le cœur bien accroché, vous allez serrer des dents, avoir envie de mordre et de hurler. L'enfer s'offre à vos yeux dès la première page. On mesure la fureur et le courage de l'auteure pour témoigner de ce qui se déroule au Cameroun et ailleurs. Alors lisez et faites lire.... Pour que cela cesse partout.

Quatrième de couverture

Trois récits à la première personne de trois femmes africaines qui entendent dès leur naissance qu’il faut qu’elles soient patientes pour remplir comme il se doit le rôle d’épouse qui leur est réservé. Il s’agit de Ramla, une adolescente talentueuse, belle et éduquée qui rêve de devenir pharmacienne et d’épouser l’homme qu’elle aime ; de sa demi-sœur Hindou, mariée à son cousin raté, alcoolique et violent ; et de Safira, la première épouse du quinquagénaire auquel Ramla est destinée. Ramla subit non seulement la trahison des siens, surtout de son père, qui rompt son engagement et suit le diktat de son propre frère qui lui intime l’ordre de donner sa fille au riche homme d’affaires, mais aussi de l’entourage féminin, sa tante mais aussi sa mère qui peine à la protéger. Blessée au plus profond d’elle-même par l’arrivée d’une seconde épouse après vingt ans de vie monogame et heureuse, Safira jure de faire partir cette rivale. Elle lutte sournoisement contre elle et finit par obtenir ce qu’elle voulait, regrettant ses actions mais contente du départ et prête à
affronter n’importe quelle nouvelle rivale. Hindou, elle, finit par devenir folle, ne pouvant plus faire face aux violences de son mari qu’elle a essayé de fuir une fois mais en vain. Chacune de ses femmes, à sa manière, se rebelle contre le maître mot auquel leur existence se résume : patience.
Historique du roman :
Djaïli Amadou Amal explique dans un entretien au Monde que Les Impatientes est inspirée par sa propre vie : elle a subi un mariage arrangé à un âge précoce avec un époux bien plus âgé qu'elle ne connaissait pratiquement pas, puis elle s'est remariée à un homme polygame et violent. Elle décrit cette période en ces termes: « Mais toi tu crèves lentement, battue, violée, humiliée, car ton mari a tous les droits. J’ai enchaîné les maladies, spasmophilie, hypertension, diabète, une boule perpétuelle au fond de la gorge. Personne ne pouvait me comprendre». Selon Djaïli Amadou Amal, c'est la culture, la lecture puis l'écriture qui lui ont permis de s'en sortir: Elle voit ses livres comme des armes dans la lutte contre la polygamie, les mariages forcés et les violences conjugales. Elle explique ainsi avoir écrit en pensant à ses filles : « Il fallait que j’incarne une voix suffisamment forte et influente pour pouvoir, le jour venu, m’opposer à leur mariage précoce et les arracher à ce système néfaste ».
Prix littéraires :
Retenu, à la surprise générale, jusque dans la dernière sélection du prix Goncourt à la rentrée littéraire 2020, le roman Les,Impatientes reçoit finalement le 2 décembre 2020 le prix Goncourt des lycéens au premier tour de scrutin par dix voix contre une pour Chavirer de Lola Lafon et une pour L'Anomalie (récompensé du prix Goncourt la veille) d'Hervé Le Tellier.

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