Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Les Immortelles
Makenzy Orcel
Zulma
2012
134 pages
Roman
Chronique
31 décembre 2018
Prix Thyde Monnier de la Société des Gens de Lettres.
Magnifique mise en page pour un long poème en prose, charnel, unique, furieusement engagé à rendre hommage aux Immortelles de la Grand-Rue à Port-au-Prince, avant et après le terrible tremblement de terre de janvier 2010.
« La petite. Elle n'est pas morte. Elle n'a pas le droit de mourir. Je sens encore son odeur dans tout ce qui bouge. C'est l'odeur de catastrophe, l'odeur des cadavres qui monte de la rue, de tout ce qui bouge. Tous les monstres en béton sont tombés. Tous les bordels. La Grand-Rue n'est plus ce qu'elle était. Mais nous, on ne mourra jamais. Nous, les putains de la Grand-Rue. Nous sommes immortelles. »
Et le meilleur moyen de faire en sorte que jamais elles ne meurent ou soient oubliées est celui choisi par la narratrice rescapée de cette catastrophe, racontant à un écrivain l'arrivée de la petite à sa porte, se nommant Shakira, passionnée de littérature, et souhaitant se prostituer pour gagner à ses yeux une forme de liberté, mais aussi une revanche sur sa mère qu'elle hait. Il est beaucoup question de maternité, du chiffre douze qui revient régulièrement, de prescience du malheur, de l'écroulement des illusions comme des murs de la cité, nous sommes en pleine tragédie...Hypnotique lorsqu'il est lu à haute voix, tel un chant sans âge, ce texte authentique dans sa démarche, lyrique dans sa forme, sans pruderie inutile ou faux semblant devient essentiel et universel..
« Aux lendemains du tremblement de terre qui a secoué Port-au-Prince avec la même force destructrice que la bombe d'Hiroshima, Makenzy Orcel a écrit Les Immortelles pour dire la folie de vivre malgré l'épouvante autant que pour livrer le plus insolent témoignage face à l'apocalypse. »Ce livre est son premier roman. J'ai beaucoup pensé à ces photos de fouilles archéologiques dans des villes détruites par des catastrophes naturelles, ou retrouvées après des millénaires... des clichés présentant les squelettes dans des lieux anciennement cachés comme les lupanars ou les lieux d'aisance ou les bains publics. L'intimité la plus secrète voire honteuse mise à jour soudainement sans pudeur. Et cela est terriblement beau, pour certains transgressif.
Lorsqu'en plus, on apprend les circonstances de l'agonie lente et insupportable de Shakira, et les raisons pour lesquelles
elle n'était pas au turbin dehors, mais dans un des bâtiments qui sera son cercueil, notre coeur éclate. La symbolique est puissante !
Un roman poétique court, cruel, bouleversant. Pour que la mémoire reste intacte.