Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Les Combattantes de l'ombre
Margaret Collins Weitz
Albin Michel
1997
Traduction de Jean-François Gallaud, préface de Lucie Aubrac
Historique
Chronique
30 janvier 2021
Ce fut particulièrement intéressant de lire cette monographie 27 ans après sa parution car alors, ce qui fut une analyse avant-gardiste et rare sur le sujet des femmes dans la Résistance, devient de facto, de par son ancienneté, à son tour témoignage et documentation historique très révélateur d'une certaine manière d'interpréter des faits à un instant T. Depuis certaines archives ont été mises à disposition des chercheurs, historiens, qui apportent un éclairage quelque peu différent sur les évènements et la personnalité de certains protagonistes pendant l'occupation.
C'est un ouvrage extrêmement sérieux, documenté, honnête dans la démarche quant à transmettre les mots de certaines héroïnes de la Résistance, méconnues ou célèbres, avant qu'elles ne soient plus capables de passer le témoin aux générations à venir. Le travail de mémoire est donc réalisé ici avec respect, admiration, affection, émotion retenue mais à fleur de peau, et aussi étonnamment, avec à certains moments beaucoup d'humour. En effet, ces très jeunes filles, pour la plupart, aux caractères souvent bien trempé pratiquaient aussi avec brio, afin de se protéger de la monstruosité des évènements, une forme d'ironie distancée et d'autodérision.
La Résistance fut, dès le départ au moment de l'armistice honteux de 1940 mais aussi, pour certains, dès l'avènement du nazisme et les premiers actes et crimes antisémites d'avant guerre, une réaction épidermique de rejet puis de lutte avec les moyens du bord : tout cela sentait l'amateurisme et exigeait des qualités indéniables d'adaptabilité rapide à n'importe quelle situation. Les femmes sont les championnes en la matière.
Les Françaises sont condamnées, dans la société d'alors, à un rôle de faire-valoir, ne disposent évidemment pas des mêmes droits que les hommes, ne sont pas sensées avoir d'opinions politiques, de moyens financiers, de liberté d'action quelque soient leurs origines sociales. Dans un pays où la Révolution française fut patriarcale, où le droit de vote est une utopie inatteignable, si les femmes veulent à nouveau jouer un rôle pour leur patrie, comme en 1914-18, ce sera en catimini, en toute discrétion, avec humilité.
C'est effectivement ce qu'elles firent : le bruit des bottes allemandes étaient plus insupportables que ce que leur éducation et toute la société des hommes hurlaient à leurs oreilles. Donc ce ne sont pas des guerrières en lumineuses armures qui vont agir en pleine lumière mais bien des ombres rompues à l'exercice du sabotage, de la comédie, de l'illusion, qui vont mener et gagner cette bataille de sape, de destruction lente mais inéluctable des forces ennemies. Bien vite, les réseaux s'organisent, les petites mains sont à l'ouvrage dans l'obscurité, certaines de ces résistantes en nombre restreint obtiennent des postes de commandement où leur genre est secondaire.
On les a sous estimées, on les a maintenues dans des rôles très caricaturaux de saintes ou de putes, on les a, comme toujours accusées d'être à l'origine de la défaite n'ayant pas assez pondu de futurs soldats entre les deux guerres, on les a reléguées à n'être que des génitrices qui en plus devaient savoir tenir une maison, les comptes du ménage, être décoratives et à la disposition de leurs maris, et bien soit. Elles vont jouer de toutes ces règles gravées jusque dans leur inconscient, elles vont être extérieurement ce que certains hommes et particulièrement les Allemands de cette époque pensent qu'elles sont.
L'analyse est parfaitement menée et malheureusement encore d'actualité dans la guerre économique et sociale que nous traversons, et il est vrai que ce jeu de rôle, auquel nous sommes obligées quelques fois de nous prêter, est lassant et insupportable. Mais en cette période monstrueuse d'occupation et de régime pétainiste et collaborateur, une patriote qui veut agir simplement parce qu'elle pense ne pas avoir d'autre choix, doit ruser et utiliser tous les moyens mis à sa disposition pour sauver sa peau, son pays, ses camarades de luttes.
Sont-elles toutes conscientes de l'importance de leur action ? Non, évidemment non, habituées pour beaucoup à ne pas se mettre en avant et à laisser la lumière aux hommes.
Ceux-ci ne sont pas tous des mysogines ou des machos bien au contraire, traitant ces guerrières comme n'importe quel autre soldat. Heureusement !
L'analyse de ce qui se déroula après la libération de Paris puis aux retours des déportés des camps, cette amnésie imposée ou souhaitée par toutes celles qui témoignent dans cet ouvrage, est une réalité que nous avons pu tous constater dans nos propres familles. Un silence assourdissant, une volonté d'oublier, de tourner la page de force, ont miné les français de l'après guerre, femmes et hommes. Des syndromes post traumas extrêmement graves ont touché certains rescapé(e)s après des mois, des années où ils/elles essayèrent de donner le change, de fonctionner normalement.
Cette monographie remarquable, passionnante, pousse l'analyse des conséquences de cette vie de Résistantes puis de rescapées de l'horreur, sur le plan de la vie intime de chacune, et plus largement sur le plan politique, social et des mentalités jusqu'en 1995.
Un bémol : Je dois dire que je suis très étonnée de cette constance des auteures anglo-saxonnes, historiennes, journalistes ou biographes, à portraiturer le Général de Gaulle comme un mysogine de première tout à fait détestable. Les faits, les lois qu'il a promulguées avant Giscard d'Estaing, toute sa vie, prouvent le contraire. Qu'il fut paternaliste comme beaucoup d'hommes de sa génération à certains moments ou très protecteur, c'est un fait, mais c'est aussi un homme qui a reconnu la vaillance des femmes lors du conflit, à l'instar de sa nièce Geneviève de Gaulle-Anthonioz et d'autres, et qui laissa entre les mains de Elisabeth de Miribel toute sa "campagne de presse" auprès des Canadiens et des Américains afin de le faire connaître des autorités alliées outre-Atlantique. Pour un mysogine, c'est curieux !
Je vous redonne le titre de l'excellent ouvrage de Gérard Bardy qui vient de paraître aux Éditions Mon Poche " Les femmes du Général" pour creuser ce thème de Charles de Gaulle "féministe".
Peut-être qu'en 1995, certains faits n'étaient pas connus de l'auteure, je ne sais pas. Je n'ai pas senti chez cette histoirenne la moindre partialité comme chez d'autres ultra féministes.
Quoiqu'il en soit, ce livre reste un travail de référence incontournable, extrêmement complet et intéressant qui a nécessité beaucoup d'intelligence, d'empathie, de courage et de ténacité à Margaret Collins Weitz. Donc gratitude et respect !
D'abord sa biographie puis le contenu du livre présenté par l'éditeur complètent cet avis.