Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Les accords silencieux
Marie-Diane Meissirel
Les Escales
6 janvier 2022
247 pages
Historique
Chronique
8 août 2022
Splendeur !
« Quand les âmes se font chant,
Le monde d'un coup se souvient.
La nuit s'éveille à son aube ;
Le souffle retrouve sa rythmique.
Par-delà la mort, l'été
Humain bruit de résonance
Quand les âmes se font chant. » François Cheng
Un des plus beaux livres lus cette année à placer à côté du roman incontournable de Richard Powers « Le temps où nous chantions ».
La rencontre de Tillie, dame âgée, et Xià, jeune fille timide et perdue, autour d'un magnifique Steinway orné d'une gravure représentant deux papillons, est d'une poésie rare et ouvre pour nous les portes du passé.
« La jeune femme ajuste son assise, baisse la tête, ferme les yeux, inspire profondément, retient sa respiration avant d'expirer en trois temps, déjà son souffle épouse le rythme de l'Adagio. Alors, son majeur gauche vient à la rencontre du clavier et égrène six notes timides, son index le retrouve pour lui donner la force d'un accord, puis son petit doigt vient en renfort et offre à sa main droite l'élan nécessaire pour porter la mélodie. »
Cette description de la façon de jouer le début de l'Adagio du Concerto italien en ré mineur de Bach, BWV 974, revient plusieurs fois tel un motif dans une partition ou un leitmotiv dans le récit, que celui-ci se situe avant la Seconde Guerre mondiale ou plus tard dans le temps, que l'on soit projeté à Hong-Kong ou bien New York ou encore Shanghai... Les deux papillons s'envolent d'abord, se tournant autour afin de se reconnaître, puis se séparent :
- Tillie se replonge dans ses souvenirs de jeunesse alors qu'elle allait commencer sa carrière de vendeuse chez Steinway à New York sous les ordres de son grand-père, amoureuse de la musique, folle de tendresse pour son frère jumeau Joseph, violoncelliste surdoué promis à un avenir radieux...
- Xià se rappelle son enfance pas si lointaine et les raisons pour lesquelles elle remet en question son retour à des études de piano.
Ses deux femmes sont intimement liées mais ne le savent pas... Peu à peu, l'autrice enlève chaque voile nous cachant la vérité, jusqu'à nous offrir une scène de révélation intemporelle et magique.
Leurs âmes se retrouvent grâce à l'Adagio de Bach, grâce à la force d'attraction qu'exerce le Steinway, tel un talisman passant de mains en mains d'un pays à l'autre, d'un cœur à l'autre.
Il symbolise cette Musique qui transporte les humains dans une autre dimension de pure beauté, leur permettant de se ressourcer ; cette Musique qui également est interdite par les dictateurs car trop libératoire et transgressive en ce qu'elle redonne l'espoir à des peuples opprimés. La Musique vole et se pose partout où elle peut apporter réconfort, où elle peut raffermir la conviction de tous ceux en quête de démocratie, de justice. Elle allie les humains, les relie tel un cordon ombilical à une dimension supérieure, à Dieu peut-être...
Oui, voici un des plus beaux textes lus en 2022 grâce à l'avis émerveillé d'une amie partagé sur un groupe de lecture présent sur Facebook... D'une délicatesse de fine dentelle, d'une sensibilité à fleur de peau, d'une poésie née de la simplicité de la narration mais aussi des images évoquées et de la construction même du récit, je suis sortie de ce roman le cœur gonflé de gratitude, renoyautée autour de mon désir ardent de reprendre ma carrière de chanteuse lyrique après trois ans d'enfer.
Je remercie Marie-Diane Meissirel pour ce roman d'amour, de passion, de lumière, essentiel en ces temps d'obscurité... et je regarde les deux papillons réunis enfin après un si long voyage.