Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Le théâtre de Slavek
Anne Delaflotte Mehdevi
Gaïa
2018
399 pages
Roman
Chronique
26 octobre 2018
" J'ai le sentiment d'avoir vécu au bord, au bord du bonheur, au bord d'une scène, au bord d'un pays, mais dans Prague toujours."
La personnalité même de l'auteure, sa vie si dense et étonnante, imprègnent ce récit qui, on le comprend en le découvrant, devait forcément naître de cette femme. Après des études en droit international et diplomatique, la pratique du piano et du chant lyrique, elle devient relieur et écrit plusieurs romans dont " La relieuse du gué" et " le portefeuille rouge" que j'ai chroniqués, ainsi que " Fugue" et "Sanderling". Elle vécut à Prague pendant presque vingt ans.
Tout est donc là pour écrire ce merveilleux roman dont le décor est évidemment Prague de 1707 à 1788, laissant le narrateur Slavek Sykora, sculpeur de lumières dans plusieurs théâtres, on dirait aujourd'hui chef éclairagiste, nous raconter sa vie, sa ville, ses amours, témoin de toutes les joies, peines, peste, guerres, blocus, périodes de paix, spectacles d'opéra ou de théâtre.
Un clair obscur embrumé par l'opium nécessaire à éloigner la douleur de la vieillesse, nimbé de l'or des bougies. Celles-ci lui restent encore des théâtres où il magnifia les artistes à l'aide du feu et des miroirs stratégiquement placés pour décupler la lumière. Rencontres avec les plus grands du temps, les politiques, les nobles, les artistes et compositeurs passés à la postérité, mais aussi tous les humbles, pauvres, modestes, artisans, commerçants, faisant battre le cœur de la cité bénie que jamais Slavek n'abandonna.
Une confession des dernières minutes alors que le Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart vient d'être créé et qu'enfin une pièce en tchèque a pu être représentée.
La Bohème et son destin de terre continuellement envahie, Prague et ses quartiers et sa population bigarrée où être juif fut encore une cause de souffrance et d'exil selon les nouveaux rois.
Une écriture qui se fracture parfois comme la mémoire de Slavek, des oublis comme certaines pages non numérotées. De la poésie tout en délicatesse, de la fragilité, une vérité intime en filigrane sur fond historique. Un homme qui bien que coupé en deux dès ses sept ans par les roues d'un carrosse n'en reste pas moins un être complet, acteur et témoin de son temps. Oui un très beau roman !
" Prague. La rumeur monte jusqu'aux fenêtres d'un vieil homme qui se souvient.
Tout jeune garçon, Slavek perd l'usage de ses jambes, renversé par la calèche du comte Sporck. Celui-ci ne fuira pas sa responsabilité, prenant en charge l'éducation du jeune homme. Slavek traverse le XVIII ème siècle dans une Prague soumise aux épidémies, aux guerres, mais où le théâtre s'épanouit. Il s'y verra confier l'éclairage des spectacles et opéras.
Discret, séducteur, sensible aux arts et notamment à la sculpture et la musique, Slavek tourne le dos à l'obscurantisme, et trouve sa place en maître des lumières."