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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Le silence des vaincues

Pat Barker

Charleston

2020

351 pages traduites par Laurent Bury

Historique

Chronique

19 avril 2021

Titre original « The Silent of the Girls »


STUPEUR ! De celle née de l'admiration pour le tour de force maîtrisé par Pat Barker ! Sublime dans l'horreur, beauté crépusculaire, texte éblouissant ! D'un sommet de la littérature classique, l'auteure fait un thriller historique bouleversant et terrifiant. Je fus Hécube, Reine de Troie et épouse de Priam, puis je fus Cassandre, leur fille, condamnée par le dieu qui ne put la violer au don de voir l'avenir et de n'être jamais crue, dans l'opéra sublime Les Troyens de Berlioz. Celui-ci s'inspirant de l'Enéide, n'a pu se résoudre à réduire, face au public, ces deux femmes en esclavage et pourtant... À la fin du deuxième acte, sa Cassandre se suicide avec ses suivantes troyennes à l'entrée des Grecs venus chercher le trésor de Priam. Nul viol à l'horizon, nulle mise en esclavage. Quant à Hécube, elle disparaît dans les brumes. Lorsque Enée raconte plus tard à Didon, Reine de Carthage, le destin d'Andromaque, femme d'Hector, il parle de son "union" avec Pyrrhus, fils d'Achille... Là encore, aucune allusion au fait qu'elle fut en réalité emportée comme trophée de Pyrrhus après avoir assisté à l'assassinat de son très jeune fils. Nous voici donc, par ce livre, projetés en pleine boucherie, au milieu des rats, de la boue, du sang, des cadavres, des excréments, dans le fracas des batailles, dans l'odeur ferreuse et immonde qui recouvre la plaine entourant à perte de vue la ville de Troie. Cette Guerre si symbolique est racontée par les vaincues, ces Troyennes, devenues les esclaves des Grecs après chacune de leurs victoires. Les villes de la plaine entourant Troie sont prises les unes après les autres ; les hommes jeunes ou vieux, les garçonnets, les nourrissons et même les femmes enceintes porteuses, peut-être, d'un enfant mâle, sont assassinés sans pitié. Les mères, filles, deviennent la propriété des vainqueurs et pour certaines, en raison de leur beauté, de leur rang, sont rabaissées à devenir des trophées, des objets, "ÇA", violées, abusées, battues, interchangeables, jettables, sauf exception rare. Ainsi Briséis, après avoir assisté du haut des murailles de sa ville, à la mort de son mari le roi Menès et de ses 4 frères, exécutés sauvagement par Achille, doit-elle supporter encore l'avilissement de sa présentation, nue, dans l'arène construite par les Grecs, comme un animal, afin d'être offerte en récompense par les mirmydons survoltés à Achille le Divin, leur chef incontesté, celui grâce à qui la victoire sur Troie est assurée : enfant d'un homme, Pélée, et d'une déesse marine dit-on, c'est un être exceptionnel, aux brusques sautes d'humeur, d'une extrême violence, incapable de la moindre diplomatie, portant encore en lui le mépris et la haine de sa mère à son encontre. Elle disparaît un jour dans les eaux, il la recherche depuis à chaque bain prolongé dans la Mer, il pense l'entendre, la sentir. C'est un enfant traumatisé devenu machine de guerre ayant heureusement à ses côtés son ami d'enfance et presque frère, Patrocle, de sang royal. C'est dans ce contexte particulier que Briséis va faire la connaissance de son nouveau maître, Achille, mais aussi du bienveillant Patrocle faisant montre d'un respect étonnant envers elle. Nous découvrons, par ses yeux, les conditions de vie de toutes ses esclaves devenues le jouet du destin et des règles de cette société antique : le silence sied aux femmes diton, et elles doivent donc s'effacer, écarter les cuisses, tout subir. Elles ne sont plus des êtres humains à part entière puisque sans plus de familles. Certaines réussissent à se faire épouser après être tombées enceintes. Les autres après avoir été le trophée de guerriers puissants, sont rejetées après usage et deviennent des filles à soldats condamnées aux viols et à la brutalité masculine, dormant sur la terre battue, cachées sous les cabanes. Le camp grec nous est dévoilé : son organisation, sa logistique, une ville de guerriers, de serviteurs et d'esclaves dont le chef est Agamemnon. Celui-ci est un être lâche, veule, sournois, sans honneur, sans parole, jaloux du prestige d'Achille. Il lui envie bientôt son trophée, Briséis, et fait tout pour le lui prendre... La jeune femme, qui ne se sent plus rien tant qu'elle n'est pas libre, est la narratrice en grande partie de ces dernières semaines avant la prise de Troie, après neuf ans de siège et de massacre. Comme elle le dit ce n'est pas son destin qu'elle nous conte mais bien celui d'Achille, être complexe, qu'elle ne peut aimer évidemment, auquel cependant va l'attacher un lien particulier. Grâce à Patrocle, elle va peu à peu comprendre ce héros grec assassin des siens qui fut un enfant abandonné et malheureux. Un homme sur lequel pèse le poids de la victoire et son statut de demi-dieu. La haine qu'il ressent pour Agamemnon décuple lorsque celui-ci réussit à lui voler Briséis. Achille décide alors de ne plus se battre tant que la jeune femme ne lui est pas rendue. Mais sans lui sur le champ de bataille gagner cette guerre est impossible. Briséis nous décrit sa vie en apnée, auprès de ses sœurs d'infortune, dans la terreur d'être appelée à partager la couche d'Agamemnon, d'être encore une fois violentée. Nous assistons aux rares moments de confidences et conciliabules de ces Troyennes soumises au bon vouloir des Grecs. Moments tragiques, parfois drôles, elles portent des enfants à qui elles chanteront des berceuses troyennes à l'insu de leur maîtres ou maris grecs. Ce métissage où les vaincues sont celles qui élèveront et éduqueront les futurs Grecs a quelque chose de savoureux, comme un goût de revanche. Pour Briséis, prise entre ces deux hommes, elle devient l'enjeu pouvant mener à la victoire ou à la défaite grecque si Achille continue à refuser de reprendre les armes. Pat Barker nous offre un texte d'une beauté âpre, rugueuse, intemporelle, sur un sujet universel et toujours, malheureusement, d'actualité. Le viol utilisé comme arme de guerre depuis des millénaires, l'objectisation des femmes devenues esclaves, possessions, soumises à toutes les violences et maltraitances, utilisées pour déshonorer l'ennemi. Voler, violer le bien d'un autre homme, c'est lui cracher à la gueule, le dominer. La Guerre de Troie racontée par ce prisme n'est plus qu'une boucherie infâme, une abomination où les grandes perdantes sont encore les femmes. Pat Barker multiplie des scènes édifiantes, dignes des plus grandes tragédies passées au patrimoine mondial de la littérature, brisant soudain le rythme de ce texte magnifique par des dialogues d'une trivialité très contemporaine, utilisant un vocabulaire d'aujourd'hui. Alors, grâce à ce procédé, nous sommes pris dans une fracture temporelle nous mettant face à la réalité monstrueuse du statut des femmes en temps de guerre depuis la nuit des temps. Pour Briséis, que peut-elle espérer, piégée entre Achille et Agamemnon ? Y-a-t-il un avenir possible..

Quatrième de couverture

Une splendide ode aux femmes et à leurs combats.
La guerre de Troie, mythe fondateur de toute la littérature européenne, commence par la banale histoire d'une reine enlevée à son époux par un autre homme. Mais, prisonnière du camp grec, une autre reine observe le destin du monde se jouer sous ses yeux : Briséis, la captive d'Achille, par qui la guerre basculera. Presque 3 000 ans plus tard, il est temps d'entendre sa voix - et à travers elle, peut-être, celle de toutes les femmes laissées muettes par l'Histoire et la littérature.
UN MONUMENT DE LA LITTÉRATURE BRITANNIQUE
Pat Barker est une écrivaine britannique qui a reçu de nombreux prix littéraires, dont le Booker Prize en 1995.
Considérée comme une autrice engagée dès ses débuts, elle affine son écriture au fil du temps et trouve sa marque de fabrique : utiliser le prisme du passé pour prendre du recul et parler du présent.
Le Silence des vaincues, son premier roman depuis de nombreuses années signe « un magistral retour en force » pour The Observer.
Il a été finaliste de nombreux prix littéraires dont le prestigieux Women's Prize for fiction et lauréat du Independent Bookshop Week Book Award.

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