
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Le papier peint jaune
Charlotte Perkins Gilman
Editions des Femmes Antoinette Fouque
12 mars 2020
43 mn, lu par Dominique Reymond
Roman
Chronique
29 avril 2020

Le texte français du Papier peint jaune date de 1976 par les mêmes éditions, réédité en 2007.Un texte court déroulant trois mois de la chute d'une jeune mère dans un profond gouffre intérieur, en pleine dépression post- partum, mal comprise et cernée à l'époque par le corps médical phallocrate.
Comme toujours le spectre de l'hystérie est brandi, celui aussi de la fragilité intrinsèque de ses pauvres petites choses dépendantes que sont les femmes.
Ainsi, sur les ordres du médecin, notre héroïne est conduite dans une maison louée pour trois mois d'été afin de se refaire une santé. Le bébé est entre les mains expertes d'une nounou dans une chambre voisine. La prescription est de ne rien faire et surtout de ne pas écrire, de rester dans un calme et un silence presque sépulcral pour ne pas favoriser l'ébranlement soudain des nerfs de la jeune femme. Son mari fait des allers-retours entre son lieu de travail et cette maison. Il veut bien faire, aime véritablement son épouse, comme un homme de son temps, paternaliste, souhaitant protéger sa femme, son bien... même d'elle-même.Il impose donc à son épouse si fragile la chambre du premier, alors qu'elle aurait aimé être dans celle du rez-de-chaussée si jolie et donnant sur une terrasse.
Cette pièce fut celle d'un enfant, spacieuse certes, mais avec des barreaux aux fenêtres, un lit fixé au sol et surtout un papier peint à motifs, hideux, cauchemardesque, à prédominance de jaune.Condamnée à ne plus bouger, à se reposer de force, à ne recevoir aucune visite distrayante ni à écrire, sa seule occupation est de regarder ce papier peint inlassablement et peu à peu, imperceptiblement, elle s'y noie, submergée par des visions, certaine qu'il palpite et qu'une autre femme y demeure derrière les feuillages.
Un texte très proche des romans gothiques, flirtant avec le surnaturel, le paranormal. Une oeuvre oppressante, coupante comme un scalpel où chaque mot est précisément et soigneusement choisi afin d'aller à l'os et ne pas se perdre dans un style ornementé.
Ce n'est évidemment pas une oeuvre d'anticipation mais une dénonciation des traitements infligés à de jeunes mères frappées de dépression post-partum que l'on va littéralement traiter comme des malades mentales, séquestrées au lieu d'être écoutées et entourées de bienveillance.
Pour l'auteure, certainement dans un désir de se libérer du souvenir de cette période terrifiante et dramatique, décrire dans ce roman très court ce que fut ces mois d'enfermement et les conséquences possibles sur des femmes plus fragiles qu'elle ne le fut, est vital. Il faut changer les traitements infligés à ces malades. Ce qui fut fait, lentement, à la suite de cette publication.
Egalement, ce papier peint est un révélateur pour l'héroïne de l'enfermement du mariage et de la condition de femme au tournant du XX ème siècle. Les dialogues entre les époux sont édifiants, chaque terme employé par le mari faisant grincer les dents tant il révèle ce paternalisme étouffant et insupportable de l'époque.
La voix de Dominique Reymond apporte, grâce à la précision de la prononciation, ses harmoniques graves, le ton calme puis de plus en plus inquiétant, une interprétation unique et ambiguë de la pensée d'une femme en perdition... Glaçant comme un thriller !