Première parution en 1996 chez Plon. 

C'est un peu gonflé de ma part d'écrire une chronique littéraire sur un chef-d'œuvre de cette écrivaine ô combien mythique. Je vais tout de même tenter de le faire avec mon cœur car il s'agit d'amour...

Mais aussi d'illusion. 

Comme ce reflet d'un couple se laissant aller au plaisir dans un miroir égaré. Le couloir du Théâtre de l'Opéra où il a été remisé est sombre... Dans l'obscurité qui peut se cacher et les regarder ?

Ainsi Sybil Delrey et François Rosset ont rendez-vous avec le directeur de l'établissement, Berthomieux, vieil acteur raté, et son associée, Mouna Vogel, revenue depuis peu d'Allemagne après le décès de son époux richissime. Femme sans âge, au passé sulfureux, d'une allure irréprochable, à la voix presque enfantine. 

Sybil et François, couple parfait aux yeux de leurs amis, de leur famille, depuis dix ans, œuvrant ensemble à traduire, mettre en scène des pièces qui leur tiennent à cœur. Encore lui... Ce cœur battant fort dans la poitrine du jeune auteur tchèque alors qu'il écrivit sa pièce avant de mourir. Sybil en a les droits, elle se sent une responsabilité envers le défunt ; elle l'a traduit, François a peaufiné la version française et maintenant l'envie de mettre ce bébé, leur bébé, au monde est là, incontournable. Pourquoi pas dans ce théâtre ?

La réunion entre les quatre personnages est donc essentielle pour le couple. En effet, au-delà du challenge et de l'aventure commune, l'intérêt est aussi financier. Ils arrivent à s'en sortir en écrivant des papiers pour diverses revues et parutions, mais leur situation est tout de même précaire.

Par ces détails matériels, pragmatiques, par la description de leur maison de Montparnasse, Françoise Sagan nous fait entrer dans l'intimité de ce tandem amoureux et artistique. Nous sommes présents dans leur chambre, dans leur vie, nous pouvons presque les toucher. Nous nous attachons à eux, heureux de la vision de ce couple idéal.... Sauf que, tout ceci n'est que chimère, et tout le roman devient alors un immense miroir non pas magique mais des illusions perdues. 

L'entrée de Mouna Vogel en scène change la donne. Les travers de François se réveillent. 

Alors se pose la question cruciale que nous évitons tous : un couple fonctionne-t-il parce que l'un des deux vit dans le déni, ferme les yeux ? N'y a-t-il pas toujours un déséquilibre des forces au sein du tandem qui avec le temps sape l'entente cordiale ? Que reste-t-il après la passion, la fièvre des corps ? 

Autopsie d'un couple en perdition et qui ne le sait pas, texte d'une beauté venimeuse, envoûtante, décorticage obsessionnel du moindre événement, du moindre regard, du moindre soupir, analyse froide d'un délitement sentimental au temps de l'apparition du SIDA qui changera la donne et les rapports intimes. 

Une page va se tourner pour le monde entier, ce couple ne le sait pas, vit et s'aime encore à "l'ancienne". 

La légèreté et l'irresponsabilité de François, l'aveuglement de Sybil. Et Mouna perdue dans les brumes de l'alcool, femme issue du passé. 

Un roman sur l'intimité et la désillusion, magnifique et cruelle, d'une beauté crépusculaire.