Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Le diable dans la peau
Paul Howarth
Denoël
2018
429 pages traduites par Héloïse Esquié
Polar
Chronique
10 juin 2019
Titre original « Only killers and thieves ». «
Avec la petite bande de garçons noirs qui le suivait partout, il inspirait une sainte terreur chez les aborigènes, si bien que lorsqu'ils partaient en maraude, il suffisait de prononcer son nom pour qu'ils s'enfuient en hurlant dans le bush, courant en tout sens. »
Description d'un officier de la Police indigène dans le Queenslander du 13 février 1875.
Nous sommes en Australie, dans le Queensland en 1885. Une grande sécheresse s'abat sur le domaine de la famille McBride. La terre est stérile, les bêtes meurent affamées. Les deux frères de 14 et 16 ans, Tommy et Billy sont partis chasser, leur traque les mène au delà des limites de la propriété paternelle sur celle de John Sullivan. Celui-ci fait partie d'une certaine aristocratie de fait, héritière de squatters, des pionniers d'origine anglaise ou écossaise qui se sont appropriés des terres dites de la couronne en fait appartenant aux aborigènes. Et comme dans toute colonisation, un massacre en règle des peuples indigènes a commencé. Cependant de plus en plus de colons sont arrivés, et à partir des années 1860, une réglementation sous forme de Land Acts a vu le jour, visant à une meilleure répartition des terres pour chacun. Les squatters ont donc décidé de contourner la loi en mettant des hommes de paille à la tête des concessions et ainsi garder leur mainmise sur d'immenses territoire. Sullivan règne ainsi sur tout un district et y est le roi.
Tous les fermiers autour de sa propriété sont ruinés les uns après les autres alors que lui semble bénéficier de conditions géographiques exceptionnelles et donc suffisamment d'eau pour attendre les pluies.
Depuis quelques années, certains aborigènes ont rejoint les forces de la police, leurs familles massacrées par les blancs, préférant pactiser avec le diable et être du côté des forts. À la tête se trouve un être brillant, intuitif, dangereux et psycopathe, Noone.
Les deux garçons sont alors témoins d'une scène terrible, l'assassinat d'un aborigène enchaîné à deux autres par Sullivan, son bras droit Locke en présence de Noone et ses hommes. Ils sont malheureusement découverts, et Sullivan leur demande de bien rapporter à leur père la scène à laquelle ils viennent d'assister.
Les deux hommes ne s'entendent pas, il y a un secret entre eux.
Revenus chez eux, ils retrouvent leur mère et leur jeune soeur Mary ainsi que Arthur un aborigène qui est avec McBride depuis toujours et Joseph de la tribu des Kurrongs. Après avoir tu la rencontre avec Sullivan, les garçons sont obligés de tout raconter à leur famille. Leur parents sont révoltés par ce crime, cela aura des conséquences.
Lorsque la pluie revient enfin, tous pensent être sauvés, les deux frères s'offrent une journée de baignade à une heure de la propriété. Ils s'endorment au soleil, tardent à rentrer, quand ils arrivent chez eux un silence de mort plane, le pire est arrivé...
Un western australien dans l'outback désertique violent, sanglant, à la limite du supportable, bien que l'auteur, qui a vécu six ans en Australie, ne se complaise pas dans le trash. Il s'attache à transmettre par la fiction des faits réels rapportés dans des documents anciens quant au massacre des aborigènes et la Police noire.
Noone et ses trois hommes sont les cavaliers de l'Apocalypse, ni plus ni moins, comme d'autres le furent aux USA avec les Indiens. Ce personnage énigmatique de Noone, avec son regard blanc, sont grand manteau, son ironie, son analyse fine des situations est proprement terrifiant, à l'instar de certains êtres maléfiques chez Stephen King. Étonnant aussi, car il va vite repérer la force et l'insoumission de Tommy au contraire de Billy, un être faible prêt à obéir à tous les ordres monstrueux de Sullivan.
Les deux frères s'éloignent de plus en plus au fur et à mesure que l'abomination s'étale sous leurs yeux.
Évidemment, la trame de ce drame est immédiatement prévisible, on sait vite comment cela va se terminer, mais la fin ménage tout de même des surprises assez savoureuses, je dois dire, en terme de justice et de vengeance.
Ce livre est surtout un merveilleux prétexte à revenir sur un épisode terrible de l'histoire de l'Australie et du peuple Aborigène. La description des paysages, des modes de vie dans le Queensland, tant dans les plantations modestes ou dans celle d'un squatter richissime, puis en expédition dans le désert est exceptionnelle et marquante. C'est un véritable saut dans le passé que nous faisons grâce à Paul Howarth.
Heureusement après tant d'obscurité, les dernières pages ré-introduisent la lumière. Restent les questions du traumatisme sur tout un peuple, de la culpabilité, du pardon peut être, de l'avenir à envisager ensemble.... un thriller inoubliable, d'une grande puissance !