Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Le cerf-volant
Laetitia Colombani
Grasset
9 juin 2021
208 pages
Roman
Chronique
27 juillet 2021
Léna le sait : éduquer une femme, c'est éduquer toute une nation, comme l'affirme un proverbe africain. Les jeunes filles qu'elle côtoie n'auront aucune autre chance de s'élever : l'école est la seule échappatoire possible à l'invisible prison où la société veut l' enfermer.
Léna va devoir lutter contre ces courants contraires. Il lui faudra braver les dangers, s'opposer à ses adversaires avec force et détermination. Le combat promet d'être long. D'un texte du Grand Maharadjah, elle a noté cette phrase :
« L'inconnu n'a pas de limites. Fixez-vous des tâches apparemment impossibles. Voilà le chemin ! »
« L'éducation n'est pas une préparation à la vie : l'éducation est la vie même. » John Dewey
Après La tresse, roman bouleversant et d'une profonde beauté, Laetitia Colombani revient avec un troisième opus d'une grande humanité, empathie, traitant avec justesse et délicatesse du sujet de la condition féminine en Inde et particulièrement de celle des toutes jeunes filles pour la plupart analphabètes comdamnées à revivre l' existence de leurs mères ou autres femmes de la famille. Une famille qui n'est plus un lieu de protection mais de danger, où un mariage forcé, dès les premières menstruations survenues, peut se nouer dans le dos de la fillette.
L' auteure choisit de mettre en scène différents protagonistes illustrant les divers courants de penser, de réagir, de combattre, de désespérer, d'imaginer un monde nouveau sans plus de carcan imposé par le système de castes, où certains peuvent vivre une existence normale et où d'autres, parias, intouchables, n'ont le droit de rien, sauf d'être invisibles, corvéables à merci. Un système ancestral que bien des figures tel Gandhi ont tenté de combattre. Certaines lois interdisent, dans ce contexte particulier où le passé est encore présent, le travail des enfants, la prostitution enfantine, le mariage entre une enfant et un adulte ; l'école est obligatoire. Mais que faire quand des parents trop pauvres ayant trop de bouches à nourrir font perdurer eux-mêmes ces barbarismes, empêchant leur propre progéniture de s'élever dans la société, d'être les façonneurs d'une Inde moderne et égalitaire. Des parents qui n'ont aucune projection à long terme, qui cherchent juste à survive jour après jour. Les autorités n' appliquent pas la loi, ce sont encore les coutumes qui régissent la société.
Léna, après un deuil dont elle ne se relève pas décide de partir loin, très loin en Inde, pays que son mari et elle-même rêvaient de découvrir un jour. Elle fut enseignante pendant vingt ans mais ne retrouve plus l'étincelle qui l'a animée à ses débuts.
Passé le choc que nombre d'occidentaux éprouvent en arrivant sur cette terre de bruits, de fureur, d'extrême beauté et de pauvreté inenvisageable, la voici un jour sur une plage regardant un cerf-volant. Instant de grâce qui en préfigure bien d'autres et une renaissance à l'espoir, à l'Amour de l'humanité.
Un parcours initiatique ayant tout de l'épreuve du combattant. C'est une guerre armée seulement de courage, d'empathie, de connaissances, d'une aptitude à rapidement s'adapter aux conditions exceptionnelles, que Léna et ses nouveaux compagnons de lutte vont devoir gagner.
Un très beau texte, musical, plein de délicatesse, de respect, né de la nécessité d' avertir, d'informer. Un hymne à l'éducation et à la tolérance.