Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Le Bureau des affaires occultes
Eric Fouassier
Albin Michel
28 avril 2021
368 pages
Polar Historique
Chronique
29 avril 2021
Tome 1 de la série « Le Bureau des affaires occultes », consacrée aux enquêtes de Valentin Verne
« Je vous livre le secret des secrets. Les miroirs sont les portes par lesquelles la mort vient et va. » Jean Cocteau, Orphée
« J'ai peur à présent qu'au miroir n'habite l'authentique visage de mon âme, tout déchiré par les ombres et les fautes. » Jorge Luis Borges, Le Miroir
Je termine ce policier historique bluffée et décontenancée car soudain, je me sens si concernée, que je me surprends à éviter toute surface réfléchissante, tout miroir... Je commence à m'interroger sur ma capacité à me regarder en face, à faire la distinction entre ma nature profonde et les rôles que j'endosse par convention sociale ou nécessité psychologique. Miroir, mon beau miroir, es-tu mon ami ou un piège mortel ?
Dans un reflet, notre image est-elle complète, ou parcellaire en plus d'être inversée ? Sommes-nous le Bien face au Mal ou Satan face à Dieu ?
La mise en abîme est totale dès les premières lignes de ce texte... Un jeune garçon court, s'enfuit à l'approche d'un monstre, d'un criminel dénaturé surnommé le Vicaire. L'enfant a réussi à lui échapper et cherche refuge dans cette ville de Paris du début du XIX ème siècle... Du bruit, des rires, de la lumière, une fête, vite il se cache sous un chapiteau mais l'y attend le plus grand des vertiges.... et nous tombons avec lui, cherchant à nous raccrocher à la réalité, aux faits.
C'est aussi ce que fait notre héros, Valentin Verne : il lutte pour permettre à la lumière de vaincre les ténèbres, utilisant toutes ses connaissances en sciences, en chimie, en médecine, pour faire reculer l'obscurité, les superstitions, les fausses croyances.
Âgé de vingt-trois ans, élégant, mince, à la carrure avantageuse, sa beauté "presque douloureuse" et son regard acéré passant du vert au gris acier, nous troublent ; on ne sait si cet être est de la lignée des anges déchus ou de celle des gardiens. Lui-même se bat pour le savoir en traquant inlassablement le Vicaire.
Pourquoi mène-t-il cet quête infernale vouée à le mener au fond du gouffre, dans les lieux les plus putrides et malfamés de la capitale, véritable cocotte minute en cet automne 1830 suite à la prise de pouvoir de Louis-Philippe ?
Une définition avant de continuer (source wikipédia) :
La mise en abyme — plus rarement orthographiée mise en abîme ou, de façon archaïque, mise en abysme — est un procédé consistant à représenter une œuvre dans une œuvre similaire, par exemple dans les phénomènes de « film dans un film », ou encore en incrustant dans une image cette image elle-même (en réduction). Ce principe se retrouve dans le phénomène ou le concept d'« autosimilarité », comme dans le principe des figures géométriques fractales ou du principe mathématique de la récursivité."
Principe artistique mis à l'honneur donc dans ce premier opus des enquêtes de l'inspecteur Valentin Verne, ayant choisi de travailler aux mœurs, muté soudainement à la sûreté, afin d'élucider le cas du suicide incompréhensible d'un jeune homme, fils d'un riche industriel, nouveau député de la Chambre. Après s'être regarder dans un grand miroir, Lucien Dauvergne s'est défenestré sous les yeux de sa mère alors que son père recevait tout le gratin parisien au rez-de-chaussée de son hôtel particulier. En cette période politique très délicate, où les légitimistes veulent discréditer par tous les moyens Louis-Philippe et son gouvernement, cette mort est une épine dans le talon du roi.
C'est le commissaire Flanchard de la sûreté, souhaitant faire oublier l'époque de Vidocq et de ses méthodes peu orthodoxes, qui choisit Valentin. En effet, après des études de droit et de pharmacie (similitudes réjouissantes avec l'auteur), passionné de botanique et de chimie, le jeune homme est capable d'user de méthodes modernes pour mener ses investigations, récolter des indices et des preuves, incarner une nouvelle police. Il préfigure en cette époque fabuleuse de révolution industrielle, scientifique et sociale, ce que sera un enquêteur de l'avenir.
Le suicide de Lucien Dauvergne est donc une priorité, ce qui évidemment n'empêchera pas Valentin Verne de continuer sa traque du pédocriminel le Vicaire. En chemin, la rencontre avec une charmante et piquante comédienne, Aglaé, bonne amie du défunt, ne fera que déstabiliser un peu plus notre inspecteur, si soucieux pourtant de toujours garder le contrôle. Une minuscule fissure dans son armure.... De plus, un certain Monsieur V. entrera en scène afin d'apporter son aide et son expérience au jeune homme, confronté aux pires spécimens de criminels, des bas fonds comme des beaux quartiers.
Donc, en résumé, une mise en abîme à plus d'un titre, tout étant le reflet de tout :
L'auteur et son personnage,
cette période troublée, violente et sanglante d'instabilité politique, de revendications et de mutation sociales de 1830, si proche de celle que nous traversons.
Sans oublier les chapitres consacrés au journal d'un certain Damien, dont le portrait est tracé par Éric Fouassier avec infiniment de délicatesse, d'empathie, de justesse. Des lignes bouleversantes, gravées à jamais, en écho de toutes les confessions intimes des victimes innocentes de pédophiles.
En nous replongeant dans l'Histoire, les romanciers peuvent ainsi traiter également, par un détour temporel, de sujets encore actuels et gravissimes qui n'ont toujours pas trouvé de solution, malheureusement.
J'ai été très touchée et concernée par ce roman, par ce héros, par les sujets traités. Certaines phrases m'ont percutée...
J'attends évidemment la suite.