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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Le bal des folles

Victoria Mas

Albin Michel

Août 2019

251 pages

Historique et Roman

Chronique

28 mars 2020

« Depuis l’arrivée de Charcot à le Salpêtrière, on dit que seules les véritables hystériques y sont internées. Mais le doute subsiste… »


Il faut avoir le cœur bien accroché pour lire ce roman magnifique et terrifiant, mêlant fiction, surnaturel et faits historiques réels. Je ne pense pas que je longerai à nouveau les murs de la Salpêtrière sans entendre les pleurs, les cris et les voix de toutes les internées malades ou non, victimes d’un patriarcat tout puissant ne tolérant aucune prise de parole, aucune velléité de liberté, aucun affranchissement de la pensée de ces femmes, coupables d’être nées filles, d’avoir la capacité d’engendrer, et ainsi d’avoir un pouvoir sur cette société masculiniste.

A la Salpêtrière, aucune lutte de classes, toutes les internées sont sur le même pied d’égalité, celui de n’être que des femelles qui doivent obéir à leurs seigneurs et maîtres, à leurs tuteurs, aux médecins. Elles ne sont, après tout, que des biens que l’on peut céder d’un homme à l’autre, elles ne sont pas plus qu’un animal domestique. Si celui-ci aboie, la muselière, les coups de bâton, l’enfermement, le meurtre sont autant de solutions pour préserver la suprématie des hommes. A la Salpêtrière, le maître s’appelle Charcot, célèbre neurologue, dieu tout puissant, pur produit de ce XIXe siècle misogyne. Autour de lui une cour d’internes, d’infirmières, de collègues et un public émerveillé par les découvertes du grand homme. Les cours publics, ou conférences spectacles, organisés toutes les semaines au sein de l’hôpital, sont autant de représentations à la gloire du thérapeute, testant sur ses malades transformées en cobayes, de nouvelles méthodes tâtonnantes et dangereuses, sous l’œil concupiscent de ces messieurs. Que dire de ce Bal des folles organisé à la mi-Carême où toute la bonne société vient, comme au zoo, reluquer et s’offrir des sensations fortes à la vue des malheureuses ?


Au sein du personnel, des sadiques sociopathes ont un terrain de chasse rêvé à leur disposition, et des infirmières et surveillantes ont l’illusion d’être supérieures à leurs sœurs « démentes ». Elles sont folles, donc irrécupérables. Il ne sert à rien de montrer de la bienveillance ou de l’empathie. C’est en tous les cas ce que se répète Geneviève, « la vieille », surveillante générale crainte et respectée, tant par le personnel que par les malades. Depuis un drame familial, elle a consacré sa vie entière à Charcot. Mais l’arrivée en février 1885 d’une nouvelle venue, va changer la mise, balayer l’existence et les convictions de Geneviève. Eugénie Cléry, jeune femme de bonne famille au verbe trop haut et aux idées trop libertaires, a eu le malheur d’avouer à sa grand-mère bien aimée son secret : elle voit et parle avec les morts depuis des années. L’aïeule la trahit, prévient le chef de famille qui, pour protéger son nom et sa réputation sans tâche, décide, du jour au lendemain, de faire enfermer sa fille dans le mouroir qu’est alors la Salpêtrière. On y entre pour ne jamais en sortir, oubliée, cloîtrée, annihilée. De la viande et des corps tout frais pour la médecine, les chercheurs, les abuseurs… Lorsqu’on lit les raisons pour lesquelles ces femmes ont été internées, on frémit. Cependant, des ombres vont venir au secours d’Eugénie, sortir des murs, chuchoter … Les entendez-vous ?

Croyez-vous vraiment, qu’aujourd’hui, dans certaines unités psychiatriques, toutes les personnes qui y sont enfermées, le sont pour de bons motifs ? Y sont-elles correctement traitées, soignées ? Pensez-vous être à l’abri d’une hospitalisation abusive ? Pire, ne sommes-nous pas tous amenés, purs produits d’une société normative, un jour, à montrer du doigt celle ou celui qui ne rentre pas dans les cases, au comportement incompréhensible, au regard différent, qui s’exprime trop fort, qui réagit trop émotionnellement ? Attention, la folie est contagieuse, vite enfermons-les ! Attention la pauvreté, le malheur sont contagieux, cachons- les au fond d’hôpitaux et cliniques psychiatriques ! Protégeons l’intégrité de notre société, oublions que souvent, ceux qui font évoluer le monde, sont d’abord jugés comme déments, fous, pestiférés.


Lire ce roman, en plein confinement après avoir été témoin, voici des années, de ce qui se passait dans des unités de soin psy, m’amène à reformuler ces questions :

Où sont les fous ? Les femmes, ne sont-elles pas toujours aux yeux de cette société patriarcale, des éternelles hystériques et sorcières devant être mises au pas ? Et en poussant le curseur plus loin, certaines femmes ne sont-elles pas les complices de cette société, appliquant des règles sexistes enregistrées après des années de lavage de cerveau éducatif, incapables de s’en défère, préférant un quotidien carcéral connu, à une liberté vertigineuse, dénonçant et pourrissant la vie de celles qui ont le courage de faire reculer les limites ?


L’auteure, avec un talent indiscutable, avec humanisme, empathie et une extrême exigence historique, vous ouvre les portes de la Salpêtrière afin de dénoncer ce qui fut et ce qui est toujours. Nous avons encore un très long chemin à parcourir, ne nous voilons plus la face !

Quatrième de couverture

Chaque année, à la mi-carême, se tient, à la Salpêtrière, le très mondain Bal des folles. Le temps d’une soirée, le Tout-Paris s’encanaille sur des airs de valse et de polka en compagnie de femmes déguisées en colombines, gitanes, zouaves et autres mousquetaires. Cette scène, joyeuse cache une réalité sordide : ce bal « costumé et dansant » n’est rien d’autre qu’une des dernières expérimentations de Charcot, adepte de l’exposition des fous.
Dans ce livre terrible, puissant, écrit au scalpel, Victoria Mas choisit de suivre le destin de ces femmes victimes d’une société masculine qui leur interdit toute déviance et les emprisonne. Parmi elles, Geneviève, dévouée corps et âme au service du célèbre neurologue ; Louise, une jeune fille « abusée » par son oncle ; Thérèse, une prostituée au grand cœur qui a eu le tort de jeter son souteneur dans la Seine ; Eugénie Cléry enfin qui, parce qu’elle dialogue avec les morts, est envoyée par son propre père croupir entre les murs de ce qu’il faut bien appeler une prison.
Un hymne à la liberté pour toutes les femmes que le XIXe siècle a essayé de contraindre au silence. »

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