Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
La vie secrète d'Emily Dickinson
Jerome Charyn
Payot & Rivages
2013
427 pages traduites par Marc Chénetier.
Roman biographique
Chronique
9 novembre 2018
Ma rencontre avec la poétesse fut un moment charnière dans ma vie tant sur le plan personnel que professionnel. J'étais invitée à chanter les huit pièces orchestrées par Aaron Copland sur les Twelve poems of Emily Dickinson à la Cité de la Musique en 1998. Un sacré souvenir. Sa voix, ses mots sont revenus plusieurs fois ponctuer mon parcours à diverses occasions comme en 1999 à la demande de Philip Roth.
Emily est telle une amie lointaine que je revois toujours avec une grande joie, l'interprétant à chaque fois différemment tant les poems offrent de possibilités de couleurs. Dans ce roman biographique, lors des cauchemars ou rêves, apparaissent en filigrane les mots de Emily : "I felt a funeral in my brain" lorsqu'elle se voit enterrée vivante, " The world feels dusty" quand tout d'un coup elle décrit la poussière d'or qui vole dans l'air, visible dans un rayon de soleil.
« Fermer les yeux c'est voyager » écrit Emily Dickinson en 1870.
Ainsi s'ouvre ce livre, la vie secrète de cette fée réimaginée par l'auteur. Les deux ans au Séminaire de Mount Holyoke puis des décennies revenue dans le manoir familial, dans une relation fusionnelle avec son père, mais aussi avec son Grand Frère Austin, sa sœur cadette Lavinia, sa mère en permanence malade. Le père, le seigneur du village est un homme politique autoritaire autour duquel tout tourne.
Un destin exceptionnel d'une femme attachante, peu sûre d'elle, souvent sous influence, avec un vrai cœur d'artichaut, une femme également de tête et de caractère... Ne pas se fier à sa petite taille et sa voix fluette. Celle-ci devient tonitruante et puissante dans ces poèmes ; son choix de solitude, de regarder le monde à travers sa fenêtre de chambre n'est pas une fuite mais au contraire l'ouverture vers un monde d'imaginaire et de fantaisie incroyable.
Ce livre n'est pas une biographie, comme pour d'autres personnages célèbres, par exemple" Les mémoires imaginaires de Marylin Monroe", Jerome Charyn mêle vérité et fiction, il " dépasse la légende en lui donnant une voix". Emily Dickinson est la narratrice, elle nous parle, nous touche, elle est vivante et pleine de sensualité exacerbée. Nous sommes très loin des clichés véhiculés faussement sur elle, ce n'est pas une vieille fille excentrique, elle est une âme vibrante, indépendante, contemporaine, transgressive. Elle s'évade du manoir grâce à son pouvoir de création et son imagination. Ainsi, " Charyn rend hommage à la fiction, à l'infini pouvoir de la littérature."