Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
La vie ne danse qu'un instant
Theresa Révay
Albin Michel
2017
505 pages
Historique
Chronique
12 décembre 2018
Voici pour moi la troisième héroïne imaginée par cette romancière, la quatrième grande fresque historique, celle-ci concernant les années 1936 à 1945 de l'Abyssinie à l'Italie et plus particulièrement Rome, puis l'Espagne, Alexandrie, Berlin....L'intérêt pour moi était de prendre la mesure de certains aspects et événements de cette seconde guerre mondiale, abordés à l'école, mais jamais en roman en ce qui me concerne. J'ai donc à nouveau beaucoup appris de Theresa Révay, lu cette fiction avec engouement et voracité. Au début, on peut se dire que le plan de ce dernier opus ressemble énormément aux précédents titres : une héroïne forte, indomptable, irrésistible, avec une part d'ombre, au cœur de la tourmente historique, bravant tous les dangers, participant à l'éclosion d'un nouveau monde. Et toutes celles que j'ai croisées, Xenia Feodorovna Ossoline, la louve blanche, Leyla Hanim, la turque, ou Alice Clifford ici, sont de grandes amoureuses.
Cependant, ce roman m'a spécialement attrapée dès les premières lignes par la beauté de l'écriture qui s'épanouit de livre en livre, par la complexité de la psyché des personnages en pleine évolution pendant neuf ans d'horreur qui ne laissent nul être indemne, par la description inspirée des lieux, villes et des pays. La découverte d'Alexandrie m'a donné une furieuse envie d'y aller, et je fus heureuse de retrouver Rome, éternelle....
Surtout, ce roman est un très bel hommage aux correspondantes de guerre, grands reporters, à leurs confrères, soucieux de donner le plus fidèlement des nouvelles du front. Martha Gellhorn, Virginia Cowles, Sigrid Schulz, Herbert L.Matthews, Eleanor et Reynolds Packard, Ève Curie, Caroline Moorehead, Susan Hertog, Peter Kurth, Nancy Caldwell Sorel, Julia Edwards ont inspiré Theresa Révay : ils ont remarquablement témoigné de ces années hallucinantes, périlleuses, sur tous les lieux les plus brûlants du monde, où l'histoire pouvait s'écrire, au péril de leur vie et d'une existence plus normale, ciselant leurs textes au son des bombes, dans le sang et la boue.
La place des femmes est loin d'être anecdotique lors de cette décennie, leurs mots résonnent jusqu'à aujourd'hui pour nous avertir toujours des dangers du totalitarisme, de l'inutilité révoltante des guerres. Certaines d'entre elles sont incarnées dans cette fiction ; nous y croisons également Ernest Hemingway et d'autres figures célèbres, Mussolini et sa clique, sa fille Edda Mussolini Ciano et son gendre Galeazzo Ciano, Adolf Hitler et ses sbires, Pie XI et Pie XII, l'incroyable Soeur Pascalina Lehnert, etc...
Ainsi Alice Clifford est américaine, correspondante du New York Herald Tribune, ayant grandi à Alexandrie.Nous la rencontrons en Abyssinie, au printemps 1936 à Addis Abeba prise de force par les troupes italiennes du Duce. Les journalistes de tous pays sont là pour assister au massacre, à la fuite de Haïlé Sélassié, à la victoire du colonialisme version fasciste.
Une première confrontation essentielle a lieu entre Alice et Karlheinz Winther, correspondant d'un journal allemand, organe officiel du parti national socialiste de Hitler. Déjà dans l'opposition de ces deux caractères intransigeants, nous voyons surgir deux méthodes de journalisme en tout point opposées. Épidermiquement compatibles mais moralement ennemis, ces deux figures ne font que commencer à danser, le bal continuera en Italie peu après.....
Cette Alice combattante pour la vérité et la liberté d'expression se confronte également à elle-même, cette bataille là étant plus douloureuse que toute autre. Pourquoi est-elle toujours à repousser les limites d'une manière si suicidaire ? Que s'est-il passé dans sa vie intime pour être à ce point handicapée, inapte au bonheur ?Histoire troublante et bouleversante donc d'une quête, d'une rédemption, au milieu du feu de l'enfer.