
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
La saison des feux
Celeste Ng
Sonatine
2018
375 pages traduites par Fabrice Pointeau
Thriller
Chronique
26 juillet 2018

Un grand talent de conteuse et de psychologue de l'âme affirmé avec ce deuxième roman après«Tout ce qu'on ne s'est jamais dit » édité aussi chez Sonatine en 2016.
« A Shaker Heights, banlieue riche et tranquille de Cleveland, tout est soigneusement planifié pour le bonheur des résidents. Rien ne dépasse, rien ne déborde, à l'image de l'existence parfaitement réglée d'Elena Richardson, femme au foyer exemplaire.Lorsque Mia Warren, une mère célibataire et bohème, vient s'installer dans cette bulle idyllique avec sa fille Pearl, les relations avec la famille Richardson sont d'abord chaleureuses. Mais peu à peu, leur présence met en péril l'entente qui règne entre les voisins. Et la tension monte dangereusement à Shaker Heights. »
Je ne finis pas de recopier la quatrième de couverture exprès. C'est amusant, cette présentation est à l'image de ce qui est décrit si justement dans le livre. C'est l'arrivée de Mia qui provoquerait le chaos. Tiens donc !!!!
On reprend dans le bon sens : pour une fois Elena Richardson, journaliste à ses heures, épouse d'un avocat associé dans son cabinet, mère de quatre enfants presque adultes, a décidé de faire la grasse matinée. Les derniers événements que vous allez découvrir à partir du chapitre 2, l'ont épuisée, toute la smala est partie ou absente en ce matin quand l'alarme incendie retentit, bientôt suivie par les hurlements des camions de pompiers et des ambulances.
Sa magnifique et sublime maison de luxe, symbole de sa réussite dans sa banlieue normative et étriquée disparaît. Trois de ses enfants sont revenus, et regardent le désastre assis sur le capot de la voiture de leur mère. Manque la petite dernière, Izzie. Pour ses frères et soeur, elle est la responsable de cet incendie. Plusieurs foyers de départ ont été trouvés par les experts. Pour Elena également, ainsi que pour son époux, tout semble indiquer que leur cadette a commis l'irréparable.
Ont-ils raison ? Si oui, pourquoi ? Où est-elle ?
Flashback : Mia photographe de talent, artiste complète, non conventionnelle, indépendante, à l'empathie hallucinante, arrive un matin dans cette banlieue proprette et sympa de Cleveland avec sa fille Pearl et toutes leurs affaires dans une voiture. Mia lance un projet artistique, s'y consacre entièrement généralement six mois, acceptant toute sorte de jobs alimentaires, inscrit sa fille dans le lycée du coin, puis repart sitôt la série de photos prises et envoyée à son agent galeriste new-yorkaise. Ainsi elles parcourent tout le pays, libres.
Mais cette vie hors limite commence à peser pour Pearl, qui comprend sa mère et sa particularité créatrice, mais souhaiterait se stabiliser. L'appartement au premier étage d'une maison, loué à un prix très modique, propriété de Elena Richardson leur convient parfaitement. Quelques meubles trouvés dans la rue, un vrai lit pour sa fille ainsi que sa propre chambre, sont des débuts prometteurs. Inscription au lycée, rencontre des enfants Richardson, dont Moody qui devient le meilleur ami de Pearl. Il l'emmène un jour chez lui après les cours, l'adolescente découvre un autre monde, une famille plus traditionnelle mais quelque part sous la norme, de sacrés dysfonctionnements.
Au centre la fameuse Elena, qui surjoue son rôle, prétentieuse, suffisante, limitée en réalité, une couarde qui n'a en fait jamais pris de risque.... Ces trois premiers enfants l'ont confortée dans cette comédie de la mère parfaite, mais sa petite dernière va envoyer valser toutes ses certitudes dès sa naissance.
Un échange d'enfants va peu à peu se faire doucement, Izzie chez Mia en qui elle trouve enfin écoute et compréhension pour sa différence, et Pearl chez Elena, hypnotisée par la vie de cette famille.
Mia va vite comprendre que la mainmise sournoise des Richardson sur Pearl peut être dommageable. Donc, quand dans une scène immonde et dégoulinante de condescendance, Elena sous couvert d'apporter son aide à l'Art , je rigole, propose à Mia de venir faire le ménage chez elle le matin puis le dîner le soir, ( combien de fois ai-je vécu ce type de moment où je me mordais les joues pour ne pas exploser la " bonne samaritaine" ?), Mia très stratégique et intelligente y voit un moyen de garder un œil sur sa fille.... Tout est en place pour que les feux s'embrasent.
Remarquable roman écrit comme un thriller psychologique, une toile patiemment tissée, un passé doucement révélé, la question de la maternité au centre du récit, mais aussi la problématique de cette immense différence entre les êtres humains. Ceux qui vivent dans un monde normatif, qui ne prendront aucun risque, qui ne voient que la couche supérieure et évidente des choses, incapables de se libérer des carcans, d'oser, d'interpréter et de changer l'univers qui les entourent.
D'où prise de conscience d'être limité face à un être créatif et indépendant, admiration de façade, exaspération latente face à cet artiste qui tel un miroir, leur renvoie l'image exacte de leur imperfection et leur échec.Alors reprise de la main en proposant une aide, une assistance de bourgeoise riche, qui elle a un vrai statut social !?! Je dois dire que ce sont souvent des femmes qui jouent à ce petit jeu.
Bravo à Celeste Ng, c'est exactement cela, du vécu en ce qui me concerne... Et lorsque effectivement l'artiste ne s'écrase pas devant tant de générosité, alors la bienfaitrice devient ennemie et met en place tout un plan pour remettre l'ingrate à sa place, et cela peut aller très très loin. Ne croyez pas que ce soit juste une fiction, oh non !
Je remercie vraiment cette auteure ! J'ai évidemment adoré Mia et sa fille, je m'y suis totalement retrouvée. Tout est d'une incroyable justesse, servi par une écriture et un sens dramaturgique exceptionnels. Un grand auteure à mes yeux ! Ce roman m'a fait un bien fou !
