
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
La Rage
Zygmunt Miloszewski
2017
576 pages traduites par Kamil Barsbaki
Thriller
Chronique
5 mars 2018

Dernier tome de la trilogie consacrée à Teodore Szacki, procureur, nommé à Olsztyn, anciennement allemande, la ville célèbre pour ses onze lacs, depuis peu en couple et en charge enfin de l'éducation de sa fille Hela, adolescente. Nous sommes le 25 novembre 2013 au début de ce dernier volet.
Enfin, la belle image de Teodore se fendille, enfin il ne se cache plus derrière son ironie, sa supériorité intellectuelle, son élégance et son charisme.
Enfin son masque va tomber, enfin la rage, la fureur accumulées pendant des années vont surgir violemment. Fini son jeu de dupe avec lui-même et les autres. L'homme meurtri, le petit garçon mal-aimé se dévoilent.
En cette dernière histoire, la plus sombre, la plus dramatique pour Teo et les siens, la plus personnelle, le piège va lentement se refermer pour ne lui laisser aucune échappatoire. Un espoir de rédemption est-il possible ?
C'est un policier comme toujours très bien construit, mené, écrit et traduit, il faut le souligner, passionnant quant à la découverte de la société polonaise. On sent l'amour de l'auteur pour son pays, et en même temps, une immense frustration quant à certains de ses particularismes. J'ai avalé cette trilogie vite, car j'apprenais beaucoup, profondément bouleversée par ce que je pouvais lire. Et j'insiste sur la fluidité de l'écriture et la réussite de la traduction.
Le questionnement ne s'arrêtait évidemment pas à des évènements historiques ou des faits de société, mais surtout, plus largement à des phénomènes gravissimes de racisme, homophobie, antisémitisme, catholicisme exacerbé, bêtise crade qui touchent le monde, notre monde fou.
Dans ce thriller, l'horreur de la violence faite aux femmes au sein de la famille, les répercussions sur les enfants et le sexisme permanent, sont au centre de ce récit. Également, l'indifférence des autorités, le manque de réactivité des forces de l'ordre, la notion de silence et de non-assistance à personne en danger, sont adroitement traités dans cette fiction monstrueuse, qui nous le savons ne peut dépasser la réalité de ce qu'un humain peut faire à un autre.
Prologue : Teo passe de l'autre côté de la barrière et semble commettre l'irréparable.
Premier jour, le 25/11/13, précédé comme dans les deux premiers tomes d'une revue de presse polonaise et internationale, le squelette d'un homme est retrouvé ; les os appartiendraient à plusieurs personnes !
Une femme vient porter plainte directement dans le bureau de Teo, elle a peur de son mari. Le procureur est bien plus intéressé par le squelette que par ce fait divers possible, il en néglige l'importance. Tout va s'enchaîner à partir de là, le piédestal de notre anti-héros s'écroule. Les deux affaires sont-elles liées, comment ?
C'est là que le grand talent de manipulateur de l'auteur entre en jeu, toujours remarquable, car même si on pense avoir compris les tenants et aboutissants, on se trompe jusqu'au bout, jusqu'au final.
Ce personnage de procureur antipathique, et misogyne que nous suivons depuis des années, est le symbole d'une certaine opinion masculine et pas seulement, malheureusement et incroyablement. Certaines femmes protégent cet état de fait, cet objetisation de leurs pareilles, font perdurer une certaine image de la Femme dépassée et inacceptable ! Peur de l'inconnu ? Peur d'un autre mode de fonctionnement....? Je m'interroge.
À force d'accepter aussi l'hyper-sexualisation de notre société, la dérive est normale, prévisible. Le machisme, fondement même de tout depuis des millénaires, protégé des pouvoirs politiques et autorités religieuses, est une vérité archaïque.
Comment changer cela ?
La remise en question de Teo doit être celle de tous, hommes ou femmes, espérons moins violemment et cruellement.
Une trilogie polonaise et universelle incontournable pour moi, le courage d'un auteur à choisir un personnage principal haïssable, qui peut provoquer notre rejet. Mais le propos, au-delà de la fiction policière, est bien plus fondamental et essentiel sur des sujets variés et communs à toutes nos sociétés occidentales. Nous sommes au bout d'un système, qu'allons-nous faire ?