Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
La nuit des béguines
Aline Kiner
Liana Levi
2017
325 pages hors bibliographie
Polar historique
Chronique
9 avril 2019
J'ai eu la même joie et passion à lire ce roman que lors de la découverte adolescente des livres de Jeanne Bourin sur cette période médiévale. Donc je ne peux que vous conseiller de vous y plonger.
« Il y a, parmi nous, des femmes, dont on ne sait comment les appeler, laïques ou moniales, car elles ne vivent ni dans le monde, ni hors de lui. » Collectio de Scandalis Ecclesiae - Gilbert de Tournai ( vers 1200-1284)
« Quoi que puisse dire une Béguine,
Prenez-le tous en bonne part :
Tout est religion de ce qu'on trouve dans sa vie.
Sa parole est prophétie,
si elle rit c'est pour être sociable,
si elle pleure, c'est par dévotion,
si elle dort, elle est en extase,
si elle songe, c'est une vision,
si elle ment, n'en croyez rien.
Si une Béguine se marie,
c'est là son genre de vie à elle :
ses vœux, sa profession
ne sont pas pour toute la vie.
Celle-ci pleure, celle-ci prie,
et celle-ci prendra un époux.
Tantôt elle est Marthe, tantôt Marie,
tantôt elle se garde,
tantôt elle se marie.
Mais n'en dites rien que du bien :
sinon le roi ne le souffrirait pas. » Le Dit des Béguines de Rutebeuf (1230-1285)
Nous voici au début du XIVe siècle, comme au temps de ce bon Saint Louis, les juifs puis les lombards, tous ceux qui ont de l'argent sont harcelés, arrêtés, torturés, expulsés après que tous leurs biens aient été spoliés par la couronne... Une croisade, cela coûte très cher !
Les bûchers sont dressés pour les Templiers près de la porte Saint-Antoine, le roi Philippe le Bel, enfermé dans un catholicisme intégriste, prône un respect des textes sacrés, de l'ascèse, du sacrifice et de la mortification. La monnaie qu'il a fait battre est dévaluée, contient peu d'argent dans sa composition, est rebaptisée les pièces noires.
Noirs sont aussi les nuages de fumée qui s'élèvent au dessus de Paris et du béguinage royal aujourd'hui disparu, jadis sis dans le quartier du Marais.( Voir les cartes).
Ce lieu qui fut protégé par Louis IX et ses deux successeurs, regroupe une centaine de femmes ne voulant ni se marier, ni se destiner au cloître. Elles y sont libres d'étudier, de travailler, de prier, de vivre en communauté autonome, bénéficiant de dons royaux ou de nobles et seigneurs.
Ainsi, sont-elles incroyablement libérées de l'autorité ou de la moindre tutelle masculine, dans cet endroit unique, hors des classes établies dans le reste de la société, ni religieuses, ni laïques, dans un état intermédiaire. De tous les âges, veuves ou jamais mariées, fortunées ou modestes, beaucoup d'entre elles sont des esprits élevés dans bien des domaines.
Souvent, elles surpassent leurs homologues hommes, cela ne pouvait qu'engendrer la haine.
Il est donc évident que cet état de fait ne pouvait être indéfiniment accepté par certains clercs, certains universitaires et religieux, et même l'Eglise, y voyant une indépendance de pensée coupable voire hérétique.
Aline Kiner, tristement disparue en janvier dernier, nous invite avec infiniment de délicatesse, précision, empathie, dans ce fameux béguinage parisien pour y suivre plusieurs femmes symboliques, fortes, indépendantes, insoumises, en ces derniers jours d'existence.
Une plongée en 3D dans ce décor fabuleux, en ces temps de violence et de danger, mais aussi d'élévation des âmes et des esprits.
Au centre de ce récit passionnant et interpellant pour chaque femme, le manuscrit " Le Miroir des âmes simples et anéanties" de la Béguine Marguerite Porete, morte sur le bûcher à Paris en 1310. L'œuvre de cette femme est incontournable tant au plan de l'histoire de la spiritualité, de la mystique, que de la langue française.